1. Défis à relever
Dans le cas des services numériques en français en Ontario, une approche vouée à l’échec pourrait se manifester, d’une façon générale, par le déploiement de systèmes numériques (par exemple pour les services de santé) sans reconnaître les différences culturelles et linguistiques au sein des collectivités, ou par le défaut de répondre aux besoins particuliers des francophones en matière de connaissances sur la santé. Bien qu’une telle approche puisse mener à des gains marginaux, elle ne donne pas les résultats transformationnels que la transformation numérique serait capable de produire. Dans la même veine, d’autres ressorts ont éprouvé de la difficulté à s’éloigner d’une infrastructure de technologie de l’information (TI) désuète et à adopter des systèmes modernes118.
L’absence d’un identifiant linguistique sur les pièces d’identité traditionnelles (comme le permis de conduire et la carte Santé) est un exemple d’obstacle éventuel à la maximisation des gains au moyen de systèmes numériques. L’utilisation de données massives aux fins de la planification des services publics nécessitera la création d’un identifiant linguistique pour relever les questions en jeu et prévoir des services de santé et services sociaux appropriés pour les minorités linguistiques. Il s’agit également d’une des recommandations clés du rapport de la Société Santé en français intitulé Destination Santé 2018 : « promouvoir l’inclusion et la collecte des variables linguistiques sur la clientèle et sur les professionnels dans les bases de données nationales, provinciales ou locales afin que les systèmes mesurent, tiennent compte et répondent aux besoins des francophones119 ».
Bureaucratie et culture d’aversion aux risques
La culture d’aversion aux risques qui existe dans la fonction publique, surtout en raison de la bureaucratie complexe et des barrières législatives, est un autre obstacle éventuel au succès du gouvernement numérique. À titre d’exemple, la Loi de 2007 sur la modernisation de la réglementation établit un processus permettant aux ministères de collaborer et de partager des données administratives. Par contre, elle exige beaucoup de paperasse et d’approbations de cadres pour l’échange de données. De même, la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée de l’Ontario fournit des directives sur ce qu’il est permis de faire ou non avec les renseignements que détient le gouvernement. Bien que de telles lois soient essentielles pour protéger les renseignements, elles peuvent décourager les fonctionnaires de chercher de nouveaux renseignements et de partager des données avec d’autres ministères pour élaborer des politiques et programmes pertinents et novateurs120.
Personnalisation du contenu
Les services numériques doivent aller au-delà de simples traductions littérales et tenir compte des besoins des francophones et des problèmes uniques auxquels ils font face, tant collectivement qu’individuellement, lorsqu’il s’agit d’accéder à des services publics. Sinon, ils pourraient se sentir encore plus exclus en raison de la nature impersonnelle des services sur le Web. Cela est particulièrement critique dans le cas des services de santé. Le recours à la traduction automatique, sans surveillance ni contrôle de la qualité, peut créer des risques supplémentaires lorsqu’il s’agit d’accéder à des renseignements sur les soins de santé.
Ainsi, la création de services en français personnalisés de qualité exigerait une collaboration avec les partenaires communautaires francophones pour concevoir des services en se fondant sur les besoins et les priorités des collectivités francophones. De plus, il sera essentiel d’élaborer de solides mécanismes complémentaires pour fournir des services gouvernementaux adéquats en français aux populations vulnérables qui n’ont pas accès aux services numériques. Il s’agit notamment des nombreuses collectivités rurales et éloignées du nord de l’Ontario qui ne bénéficient pas encore d’un accès abordable à Internet haute vitesse121. Les aînés et les nouveaux arrivants comptent aussi parmi ceux pouvant être désavantagés par les systèmes numériques en raison d’un manque potentiel de compétences numériques.
Accès en temps réel
Les mises à jour en temps réel peuvent marginaliser les citoyens francophones en n’offrant pas le même niveau d’accès de qualité et en temps opportun aux renseignements en français. Puisque la traduction automatique représente un risque de diffusion de renseignements inexacts, il serait essentiel que le gouvernement numérique veille à ce que les mises à jour en temps réel soient accessibles à tous les citoyens, y compris les francophones, et à ce que le contenu soit fidèlement traduit, voire adapté. Pour ce faire, les unités des communications des ministères devront s’assurer que la traduction automatique coexiste avec un personnel francophone spécialisé chargé de surveiller le contenu. Il serait également essentiel de créer des systèmes de communication et de rétroaction souples pour répondre rapidement aux questions des citoyens et rendre accessible et sans délai les renseignements recherchés en français.
La disponibilité de données brutes en français est une autre préoccupation importante. À l’heure actuelle, l’article 11 de la Directive sur les données ouvertes prévoit que les ensembles de données brutes fassent l’objet d’une exemption de traduction et ne doivent être publiés que dans leur langue d’origine. Cette exemption s’applique à tous les ministères qui affichent des ensembles de données brutes dans le catalogue de données ouvertes. Un tel règlement crée des obstacles pour les citoyens et les professionnels francophones lorsqu’il s’agit d’accéder à des renseignements et à des données pour élaborer des initiatives fondées sur des données probantes.
Surveillance et évaluation inadéquates
Étonnamment, au Canada, les gouvernements fédéral et provinciaux consacrent moins de temps et d’argent à la mesure du rendement des programmes et services comparativement à d’autres gouvernements dans le monde. Plus encore, les processus d’évaluation servant à déterminer si les politiques et programmes fonctionnent efficacement ou non ne sont pas suffisamment rigoureux122. Il sera donc essentiel d’affecter des ressources suffisantes aux efforts de surveillance et d’évaluation visant à améliorer de façon continue les offres de services. Un élément clé de cette évaluation devrait comprendre la surveillance des répercussions des services numériques, y compris leurs coûts et leurs avantages pour les francophones de l’Ontario. Les processus d’évaluation de la qualité des services en français des organismes désignés et d’autres organismes de paiement de transfert ne tiennent pas compte de cette dimension de manière adéquate.
- Ibid., p. 27.
- Pour plus de détails : http://santefrancais.ca/wp-content/uploads/Destination2018_Veng_Vprint.pdf, p. 14.
- Mowat report, p. 36.
- Pour plus de détails : http://www.northernpolicy.ca/article/the-digital-divide-internet-access-in-northern-ontario-26289.asp
- Mowat Report, p. 30.