5. Écoles, lieux d’accueil
Prévenir et contrer la mobilité linguistique négative, tout en assurant la rétention de la population immigrante, implique une attention accrue au continuum de l’éducation, allant des services de garde offerts aux enfants de moins de 4 ans à l’éducation postsecondaire.
La promotion des écoles de langue française semble avoir porté ses fruits ces dernières années. Pour 2016-201712, jusqu’en troisième année, la fréquentation des écoles de langue française dépassait légèrement la part disponible pour ces groupes d’âge, soit le nombre d’enfants dont au moins un des parents avait le français comme première langue officielle parlée. En 2011-2012, seules les classes de maternelle et de jardin obtenaient des proportions aussi notables.
Malgré une augmentation constante au fil des années, la proportion d’enfants inscrits dans des écoles de langue française nés à l’extérieur du Canada semble s’être stabilisée à 7,9% depuis 2013- 2014. Sur les 8 150 élèves nés à l’étranger dans les écoles de langue française en 2015-2016, 3 233 (40 %) étaient arrivés entre 2011 et 2015. Étant donné la part croissante d’immigrants francophones qui devraient s’installer en Ontario d’ici 2028, une stratégie particulière de promotion du continuum de l’éducation en langue française devra être élaborée pour cette catégorie de population.
Bien que les conseils scolaires de langue française aient modifié leurs politiques d’admission locales afin de faciliter l’intégration dans les écoles de langue française des personnes nées à l’étranger, ces règles et leur publicité gagnent à être bonifiées. De fait, il importe que la diversité de la francophonie soit équivalente à celle de l’Ontario et que les immigrants francophones ayant adopté le français comme langue officielle sachent qu’ils sont bienvenus dans ces écoles.
Le taux de décrochage dans les écoles de langue française demeure important. Cela correspond aux élèves francophones qui quittent le système de langue française pour poursuivre leurs études dans le système anglophone. Les élèves du secondaire sont particulièrement touchés. En 12e année, en 2016- 2017, il y avait 3 000 élèves de moins inscrits dans les écoles de langue française que le nombre estimé de jeunes de 17 ans pouvant fréquenter ces écoles (nombre d’enfants ayant au moins un parent ayant le français comme première langue officielle parlée).
De plus, nous savons que les élèves inscrits dans une école de langue anglaise qui ont participé à un programme d’immersion en français tendent à maintenir leurs acquis en français plus longtemps que les autres élèves. Bien que le programme d’immersion française (programme de français langue seconde) encourage le bilinguisme au sein de la population anglophone, l’éducation en français (enseignement du français langue première) demeure la meilleure option pour assurer la sécurité linguistique de la population francophone et ainsi favoriser la mise en place de communautés accueillantes pour les immigrants francophones.
Le Commissariat aux services en français rappelait dans son rapport sur l’éducation13 que les dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires encadrant le système d’éducation dans la langue officielle de la minorité énoncent les obligations des gouvernements d’octroyer aux conseils scolaires les moyens nécessaires afin qu’ils puissent offrir une expérience éducative d’équivalence réelle à celle de la majorité pour l’ensemble de la province.
Une telle expérience renvoie à l’environnement d’instruction, aux résultats scolaires des élèves, aux activités parascolaires et au temps de déplacement des élèves de la maison à l’école. Les décrochages au secondaire auprès des francophones sont particulièrement élevés à Toronto, une région qui connaît pourtant une croissance démographique, mais qui présente également un nombre d’écoles secondaires insuffisant, des infrastructures de qualité moindre et des temps de transport scolaire trop élevés.
Il a été impossible d’élaborer des projections pour les groupes d’âge correspondant aux parcours scolaires. Les projections indiquent toutefois que les francophones de 0 à 14 ans passeraient d’une population de 90 465 personnes en 2016 à une population de 96 735 personnes en 2028, selon le scénario de référence.
Ces données représentent une augmentation d’environ 6 000 jeunes dans les services de garde et les écoles de langue française.
Les données suggèrent en revanche que le bassin d’étudiants franco-ontariens en âge de fréquenter les établissements postsecondaires tendrait à stagner ou à diminuer, sachant que la population des 15-34 ans passerait de 137 600 personnes en 2016 à 134 092 personnes en 2028 selon le scénario de référence. L’ensemble des régions serait affecté par cette diminution.
La part croissante d’étudiants internationaux inscrits dans les établissements postsecondaires devrait toutefois amoindrir les effets de ces projections démographiques, d’autant plus que les étudiants internationaux provenant de pays francophones devraient également connaître une croissance14.
Le Commissariat aux langues officielles15 précise que les obligations liées à l’instruction dans la langue de la minorité doivent s’étendre à la petite enfance en ce qu’elle constitue un bassin à préserver à partir duquel proviennent les enfants d’ayants droit. En aval du continuum de l’apprentissage, l’ouverture de l’Université de l’Ontario français viendra consolider l’offre et la qualité de l’expérience scolaire au niveau postsecondaire. Cette nouvelle université pourrait également influencer positivement l’attrait suscité par l’enseignement postsecondaire en français dans la province. Élargir l’offre éducative pour l’ensemble du continuum de l’éducation et consolider les ponts entre les différentes étapes de ce continuum est nécessaire pour assurer l’égalité de l’expérience éducative des francophones en regard du reste de l’Ontario.
Bref, la timidité avec laquelle les enjeux des écoles de langue française sont traités, le manque de suivi au niveau du continuum de l’immigration francophone ou l’accès toujours limité aux services gouvernementaux en français dans les régions désignées en vertu de la Loi sur les services en français, affectent négativement et simultanément les possibilités de renouvellement démographique des communautés francophones de l’Ontario.
De manière générale, il importera d’augmenter l’attrait de la vie en français en Ontario en promouvant l’usage public de cette langue et des communautés qui la parlent.
Les projections sont là, inéluctables. Il importe d’agir dès maintenant. Et cette action doit être concertée avec les intervenants communautaires, coordonnée entre partenaires ministériels et gouvernementaux tout en étant mesurable et en définissant des indicateurs de rendement clairs. Le gouvernement ne peut intervenir directement dans les foyers afin d’encourager les couples exogames à parler français à la maison. Cela dit, il peut agir dans certains secteurs très précis, notamment la gestion du continuum de l’éducation. Il faut être capable d’offrir des options très proactives aux familles en matière de petite enfance en français. Il importe de trouver des solutions précises au phénomène d’abandon des écoles de langue française, au profit des écoles de langue anglaise, au niveau secondaire, particulièrement dans la région du Centre. Et il devient impératif d’accroître les possibilités de formation en français au niveau du postsecondaire, surtout dans les régions comme le Centre, où l’immigration densifie la population francophone.
Les solutions sont multiples. Mais elles doivent être cohésives et impliquer plusieurs ministères et offices clés, notamment l’Office des affaires francophones et les ministères de la Santé et des Soins de longue durée, des Services à l’Enfance et des Services sociaux et communautaires, de l’Éducation, de la Formation, et des Collèges et Universités, ou du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce, des Services à l’enfance et à la jeunesse ou le ministère des Affaires civiques et de l’Immigration.
Les acteurs communautaires et les partenaires en éducation connaissent très bien ces problématiques et voient ce qui s’en vient.
RECOMMANDATION 1
Le commissaire recommande à la ministre déléguée aux Affaires francophones, en collaboration avec ses collègues du Cabinet, de se pencher sur la problématique de la baisse anticipée de la proportion de la population francophone en Ontario et de déterminer des stratégies d’action afin de renverser la vapeur ou, à tout le moins, d’en atténuer les effets.
- Notes à propos des données du graphique 6 : 1) Les enfants francophones du recensement de 2016 sont déterminés par la présence d’au moins un parent ayant le français comme première langue officielle parlée. 2) Les effectifs de 12e année incluent également des élèves de 18 ans et plus. 3) Ces données sont issues d’analyses internes du ministère de l’Éducation de l’Ontario (Données de SisOn).
- Commissariat aux services en français. Quand le plus élémentaire devient secondaire : des devoirs à compléter. Suivi au rapport. Toronto, 2016, 38 p.
- Malatest and Associates, L’étude des besoins et de l’intérêt à l’égard de la création d’une université de langue française dans le Centre-Sud-Ouest de l’Ontario. Étude indépendante réalisée à la demande du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Formation professionnelle de l’Ontario. Toronto, 2017, 93 p.
- Commissariat aux langues officielles, La petite enfance : vecteur de vitalité des communautés francophones en situation minoritaire, Ottawa, 2016, 25 p.