8. Une stratégie concertée
L’Ontario compte actuellement 622 415 francophones, ou 4,7 % de la population totale – 15 % d’entre eux sont issus de l’immigration, et ce pourcentage va continuer de croitre jusqu’en 2028. Augmenter le taux annuel d’immigration francophone en Ontario est donc essentiel pour maintenir le poids démographique des francophones. L’ancien ministère des Affaires civiques et de l’Immigration a établi une cible de 5 % d’immigration francophone en 2012. Par contre, le taux annuel était 2,4% en 2016, ce qui est bien inférieur à la cible.
Cette réalité exige que le gouvernement agisse immédiatement. L’Ontario est en position pour être un leader au niveau national au sujet de l’immigration francophone. L’Ontario a coprésidé le groupe de travail sur Entrée express, le programme fédéral pour mieux appuyer la sélection des candidats francophones, en plus de réussir à ajouter une annexe sur l’immigration francophone à l’Entente Canada-Ontario en juin 2017. Il va sans dire qu’une coopération entre les paliers de gouvernement est critique dans ce domaine.
D’autres mesures importantes en matière d’immigration francophone adoptées par l’Ontario afin d’augmenter l’immigration francophone incluent le programme de recrutement Destination Ontario au Maroc afin d’attirer des candidats francophones, l’établissement de l’Université de l’Ontario français et le programme Travailleurs qualifiés francophones dans le cadre du Programme ontarien des candidats à l’immigration.
Pour l’accueil des immigrants, le gouvernement doit d’assurer qu’il accorde les ressources nécessaires aux organismes d’accueil francophones afin de garantir des services complets aux immigrants francophones. L’intégration de ces derniers doit aussi être renforcée – par exemple, un obstacle majeur à l’intégration réussie et complète est la reconnaissance des diplômes et certificats professionnels étrangers de même que l’offre limitée dans le programme de formation relais axé sur les francophones. Finalement, le gouvernement et les intervenants clés doivent pouvoir mettre en place les conditions qui assurent une installation durable.
Plusieurs mesures sont mises en place pour que l’Ontario atteigne sa cible de 5 % dans la prochaine décennie et de multiples possibilités s’offrent à la province. Toutefois, il ne semble pas y avoir une ligne directrice suffisamment claire entre ces mesures, soit une politique planifiée et concertée. Une telle politique concertée aurait comme effet principal de mobiliser l’ensemble des intervenants et de susciter entre acteurs d’utiles débats sur les principaux défis rencontrés sur le terrain.
L’Ontario doit donc se doter d’un plan interministériel pour définir clairement et coordonner les rôles des divers ministères provinciaux concernés par l’immigration francophone, en plus de se fixer des objectifs à atteindre dans ses relations avec le gouvernement fédéral. Le comité consultatif sur l’immigration francophone, par sa vocation interministérielle décrite précédemment, pourrait être mandaté pour préparer une telle stratégie. Pour l’élaboration de cette stratégie, l’ancien ministère peut se fonder notamment sur les recommandations du Groupe d’experts en plus de se référer aux rapports annuels du Commissariat aux services en français et au livre blanc de l’Assemblée de la francophonie de l’Ontario. Les représentants de la communauté franco-ontarienne, en particulier ceux œuvrant dans le domaine de l’immigration, devraient être inclus dans ce processus.
En somme, la province dispose de nombreux atouts : les grands centres d’accueil des nouveaux arrivants, une position centrale, un très riche marché de l’emploi, une grande diversité de communautés d’accueil. Elle bénéficie aussi de la proximité géographique (et à travers les infrastructures de communication) de la principale région francophone d’Amérique du Nord (le Québec)62. L’Ontario est aussi au cœur de la mobilité ou d’une immigration francophone fluide et doit saisir les occasions qui s’y rattachent.
Ce large portrait de l’immigration francophone permet d’ouvrir les yeux sur les enjeux d’aujourd’hui sur lesquels le gouvernement a la possibilité d’intervenir d’ici 2028. À la suite de cette section, le commissaire émet six recommandations qui proposent des moyens de favoriser, voire d’accélérer, l’immigration francophone en Ontario.
Le tout peut certainement commencer par la participation de l’Ontario à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) pour transformer l’image du français en Ontario (d’une langue minoritaire à une langue internationale majeure) et pour développer ou enrichir des collaborations avec des pays comportant une importante population francophone. Selon l’estimation de l’OIF, il y aura approximativement 700 millions de francophones dans le monde d’ici 2050 et environ 85 % d’entre eux se trouveront en Afrique63.
En la matière, le commissaire encourage le gouvernement de l’Ontario à jouer son rôle de leader au sein de cette organisation et des instances de la francophonie pour que celles-ci adoptent une politique de mobilité en francophonie (immigration, études, tourisme).
L’élection générale de juin dernier a été suivie par un remaniement ministériel au cours duquel certains ministères ont été fusionnés et d’autres ont été abolis. C’est le cas l’ancien ministère des Affaires civiques et de l’Immigration dont ses différentes directions ont été confiées à trois ministères distincts. Ainsi, le ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires est maintenant responsable de l’élaboration des politiques en matière d’immigration et de citoyenneté, y compris la réinstallation des nouveaux arrivants et des réfugiés. Le ministère du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce assume désormais les responsabilités du Programme ontarien des candidats à l’immigration alors que le ministère de la Formation, des Collèges et Universités a la responsabilité des programmes de formation offerts aux immigrants.
De même, le commissaire souhaite que des initiatives existantes puissent être remodelées pour attirer davantage d’immigrants francophones.
RECOMMANDATION 3
Le commissaire recommande au ministre du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce :
- de nommer explicitement l’initiative Destination Ontario français pour mettre l’accent sur l’aspect francophone;
- de faire de Destination Ontario français une initiative permanente;
- d’inclure des organismes francophones qui ont une connaissance du milieu à la délégation ontarienne;
- de prendre en considération les tendances actuelles en termes de bassins et de réseaux prometteurs pour le recrutement d’immigrants francophones pour bien cibler les activités de promotion, notamment en Afrique subsaharienne.
Si les communautés francophones désirent accueillir un plus grand nombre d’immigrants dans un avenir proche, des politiques publiques et des initiatives efficaces doivent faciliter leur adaptation au marché du travail local. Et c’est urgent. Pour ce faire, il est pertinent de bien comprendre quels sont les secteurs d’emploi dans lesquels les immigrants rencontrent les plus grands défis quant à la reconnaissance de leurs titres et diplômes. Il serait également pertinent de déterminer d’où proviennent les immigrants qui rencontrent le plus de défis. Le commissaire recommande donc au ministère d’effectuer une recherche qui permettrait de mieux saisir l’impact de l’origine nationale des nouveaux arrivants francophones sur l’obtention d’une reconnaissance de leurs titres et diplômes.
RECOMMANDATION 4
Le commissaire recommande à la ministre de la Formation et des Collèges et Universités :
- de commander une recherche pour mieux comprendre les défis des immigrants francophones par rapport à leur intégration au marché du travail et notamment l’impact du lieu d’études sur leur obtention d’une reconnaissance des titres et des diplômes;
- de saisir l’occasion de la création de l’Université de l’Ontario français à Toronto pour établir de nouveaux services d’évaluation des diplômes en français pour reconnaitre la scolarité et l’expérience professionnelle des immigrants, notamment par des formations relais, et ce, en collaboration avec les ordres professionnels.
Pour mieux accueillir les immigrants francophones et faciliter davantage leur intégration sur le marché du travail, le commissaire désire un assouplissement des critères portant sur la langue. Le financement d’organismes doit également être revu quant à l’offre de services à ces nouveaux arrivants francophones.
RECOMMANDATION 5
Le commissaire recommande au ministre du Développement économique, de la Création d’emplois et du Commerce :
- de revoir les critères du volet Travailleurs qualifiés francophones du Programme ontarien Entrée express afin de retirer, d’ici 2019-2020, l’exigence de maîtriser l’anglais pour les candidats d’expression française. Ceci devrait en revanche s’accompagner d’une information juste et précise pour ces candidats sur la réalité linguistique ontarienne et sur les formations linguistiques disponibles sur place;
- d’ accorder des points supplémentaires aux candidats parlant le français qui ont des enfants et qui désirent immigrer en Ontario en famille.
RECOMMANDATION 6
Le commissaire recommande à la ministre des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires :
- de revoir la formule de financement des organismes prestataires de services pour que celle-ci corresponde mieux à la réalité d’organismes en situation linguistique minoritaire et diminue la pondération liée au critère du nombre de personnes servies;
- de commander une étude en 2018-2019 pour analyser l’offre de services d’accueil, d’établissement et d’intégration en français offerts par des institutions de langue française à travers la province et pour évaluer où il y a des besoins et des écarts. Une telle étude est essentielle pour clarifier l’information sur les services disponibles aux candidats à l’immigration.
RECOMMANDATION 7
Le commissaire recommande au ministre des Services gouvernementaux, en collaboration avec la ministre des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires et les parties prenantes d’organismes dans la communauté francophone, de développer en 2018-2019 un « guide de l’immigrant francophone » qui serait remis au sein d’une trousse de bienvenue à tous les nouveaux arrivants qui se présentent à Service Ontario pour obtenir une carte de santé ou un permis de conduire.
Enfin, en se basant sur ces principes de planification et de concertation, le commissaire recommande également au ministère des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires se dote d’une unité administrative de l’immigration francophone au sein du ministère pour avoir les moyens de ses ambitions. Les ministères de la Santé et des Soins de longue durée et de l’Éducation sont des exemples à cet effet. En travaillant exclusivement sur le dossier de l’immigration francophone, les employés affectés à cette unité pourraient veiller au suivi des recommandations du comité consultatif et assurer la mise en œuvre d’une éventuelle stratégie en immigration francophone. Ils pourraient également être responsables d’évaluer systématiquement les politiques et les programmes du ministère avec une Lentille francophone. Il s’agirait d’une innovation majeure dans ce dossier. Cette nouvelle unité viserait essentiellement à redéployer les ressources existantes en rassemblant l’ensemble des employés travaillant sur le dossier de l’immigration francophone dans le but d’atteindre la cible de 5 %.
RECOMMANDATION 8
Le commissaire recommande à la ministre des Services à l’enfance et des Services sociaux et communautaires :
- de développer, d’ici la fin mars 2019, une réelle stratégie en immigration francophone en matière de promotion, de recrutement, de sélection, d’accueil, d’intégration, de formation et de rétention comprenant des objectifs, des mesures concrètes et des échéanciers pour chacun de ces éléments;
- d’ inclure dans cette stratégie un échéancier pour l’atteinte et le maintien de la cible de 5 %;
- de doter son ministère d’une unité administrative de l’immigration francophone.
- Chedly Belkhodja et Christophe Traisnel, op. cit.
- Pour plus de détails : http://www.francophonie.org/IMG/pdf/SyntheseLangue-Francaise-2010.pdf (page consultée en mars 2018).