1.8.1. Droit aux services en français

Le législateur a prévu deux obligations dans la Loi sur les services en français en matière de droit aux services en français. L’article 5 stipule clairement qu’un citoyen a le droit d’employer le français pour communiquer avec le gouvernement et en recevoir les services. Ces deux avenues de communication et de services constituent des obligations claires et limpides qui s’appliquent autant au gouvernement qu’à ses organismes.

Par exemple, un homme ayant eu recours au Tribunal des droits de la personne de la province a maintes fois indiqué au ministère des Services sociaux et communautaires sa préférence pour le français comme langue de communication. Le Ministère lui a acheminé un document annoncé comme étant bilingue. Or, dans le bas du document, il était clairement inscrit qu’il n’en existait pas de copie en français. Le Ministère a rapidement corrigé la situation en s’assurant que ça ne se reproduise plus.

1.8.1.1. Communications avec le public

Prise au sens large, la notion de communication se trouve centrale au droit aux services en français en vertu de l’article 5 de la Loi. C’est dans ce contexte qu’il faut analyser de nouveau la Directive sur les communications en français adoptée en 2010 par le gouvernement. Cette directive obligatoire pour tous les ministères et organismes gouvernementaux, assortie de lignes directrices tout aussi obligatoires, vise à appuyer l’engagement du gouvernement à nouer des liens plus étroits avec la communauté francophone et, ultimement, à satisfaire, voire surpasser les exigences de la Loi.

Mais le commissaire constate que depuis l’adoption de cette directive et de ses lignes directrices, et malgré les recommandations qui en ont découlé à l’issue de son rapport d’enquête sur la grippe H1N122, bien des écarts ont eu lieu et ont encore lieu.

1.8.1.2. Publicité gouvernementale

Contrairement à la Loi sur les langues officielles fédérale, il n’y a pas de dispositions dans la Loi prévoyant des exigences au niveau de la publicité gouvernementale. À la suite de plaintes reçues au cours de l’année, le commissaire a déclenché une enquête. Il s’agit de s’assurer si la Directive sur les communications en français est assez explicite sur les exigences en matière de publicité et si, dans l’affirmative, elles sont suivies par les organismes gouvernementaux.

Pour les médias francophones en Ontario, l’enjeu est de taille. Leur survie peut même en dépendre. Pour les citoyens francophones, l’enjeu est tout aussi déterminant puisque sans accès à de l’information dans leur langue, ils ne peuvent avoir accès à de l’information pertinente pour eux, comme les autres citoyens ontariens.

Dans un souci de clarté dans une éventuelle refonte de la Loi, la question des communications gouvernementales, y compris la publicité et l’utilisation des médias sociaux, doit être clarifiée une fois pour toutes.

1.8.1.3. Médias sociaux

Les médias sociaux font désormais partie du paysage communicationnel gouvernemental. Les ministères et les organismes provinciaux se tournent vers le Web, les blogues, Facebook, Twitter, etc., pour diffuser rapidement leur information. Or, les médias sociaux sont également une forme de communication directe avec les citoyens. Ces conversations souvent sans filtre entraînent forcément des réponses tout aussi directes et rapides, tant en anglais qu’en français, dans la langue choisie par le membre du public.

Mais il arrive trop souvent que les ministères et les organismes gouvernementaux omettent de produire une version française de leurs bulletins de nouvelles, par exemple. Ou encore, invoquant les courts délais, ils recourent à la traduction automatisée, ce qui produit des textes très inadéquats, c’est le moins qu’on puisse dire.

Les lignes directrices sur les communications en français du gouvernement sont toutefois sans équivoque : lorsque sont utilisés les médias sociaux, tout doit être publié dans les deux langues ou dans un format bilingue. Le contenu peut cependant être différent entre les deux langues afin d’être plus pertinent pour la clientèle desservie. Toutefois, pour le commissaire, il faut faire preuve de prudence, car s’il est vrai que des communications précises en français sont parfois nécessaires, il arrive que la plus grande partie du contenu des messages en anglais s’applique tant à la majorité qu’à la communauté francophone et devra donc être diffusé dans les deux langues.

Dans cette perspective, le commissaire recommande à la ministre déléguée aux Affaires francophones de proposer l’inscription dans la Loi des principes essentiels de la Directive sur les communications en français.

1.8.1.4. Politiciens, officiers du Parlement et dirigeants d’organismes gouvernementaux

La situation se complique quand un porte-parole du gouvernement (p. ex. un ministre ou un expert sur un sujet) utilise un média social. Les lignes directrices indiquent que si cette personne ne parle pas français, ses propos devraient être assortis d’un résumé de ses commentaires en français et d’une mention selon laquelle tout membre du public peut demander une traduction du texte intégral des propos du représentant en question.

Le commissaire juge que cette façon de faire est insuffisante. Les directives sont claires en ce qui concerne l’utilisation des médias sociaux par les ministères et les organismes : toutes les communications devraient être initiées dans les deux langues. Il est difficile de concevoir qu’il pourrait en être autrement pour les représentants du gouvernement.

Le commissaire comprend que le recours aux médias sociaux a pour but de communiquer directement avec la population, à une ère où la transparence et la rapidité de la réponse sont essentielles. Cela étant, l’esprit et la lettre de la Loi sur les services en français doivent être tout de même respectés. Autrement dit, la nature du message doit être prise en considération. Il importe donc peu si le titulaire du compte indique qu’il ou elle écrit à titre « personnel ».

La nature du message sert de paramètre au Commissariat dans le traitement des plaintes sur les communications. Elle sert à déterminer si un ministre, y compris la première ministre, un représentant gouvernemental ou un officier du Parlement respecte l’esprit de la Loi. Cela signifie, pour le commissaire, qu’il y a une grande différence entre le fait d’annoncer sur Twitter qu’un discours vient d’être prononcé en y insérant un lien vers le discours en question (qui requiert une diffusion bilingue) et le fait de commenter la dernière joute des Maple Leafs de Toronto contre les Sénateurs d’Ottawa (qui peut se passer d’une traduction).

Le commissaire est conscient que l’on vit à époque où l’instantanéité règne. Mais si l’information de nature gouvernementale mérite d’être circulée, on doit prendre le temps nécessaire de s’assurer que cette information est accessible pour tout le public, y compris le public francophone. Il recommande donc à la ministre déléguée aux Affaires francophones de veiller à ce que, dans la refonte de la Loi sur les services en français, il soit clarifié que pour toute utilisation des médias sociaux, y compris celles provenant d’un titulaire d’une charge publique, lorsque la nature de la communication initiale est d’ordre gouvernemental, la communication soit impérativement diffusée simultanément en français et en anglais.

1.8.1.5. Notion de service

Par souci de clarté, une loi refondue devrait clarifier la définition accordée à la notion de « service ». Ce service en français doit être modulé en fonction de l’épanouissement des communautés francophones de l’Ontario.

Plus encore, le commissaire est d’avis que pour obtenir l’égalité réelle en matière de services en français et ainsi être utiles et efficaces, les politiques et les programmes gouvernementaux doivent être conçus et adaptés aux besoins particuliers des citoyens francophones de l’Ontario.

La décision de la Cour suprême dans l’affaire Desrochers23 confirme que, non seulement l’égalité réelle en matière de prestation de services peut nécessiter, selon la nature du service offert, un contenu distinct, mais aussi une participation de la communauté à l’élaboration du service en question ainsi qu’à sa livraison. La traduction seule n’est donc pas suffisante à tout coup pour répondre aux besoins des communautés francophones et ne reflète en rien le principe de l’égalité réelle.

1.8.1.6. Limitations des obligations selon l’article 7

La notion de « services de qualité égale » peut être très utile dans l’interprétation du même concept prévu par la Loi, bien que l’article 7 pourrait apporter un bémol. Il y est question en effet de limitations des obligations si toutes les mesures raisonnables ont été prises et que tous les projets raisonnables ont été élaborés.

Heureusement, la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Lalonde, a clarifié l’interprétation de cet article alors que le gouvernement de l’Ontario a vainement tenté de le plaider afin de restreindre ses obligations.

« Même si la Commission, et maintenant le Ministre, peut modifier et limiter à sa discrétion les services offerts en français par Montfort, sa décision ne peut pas reposer sur de simples arguments de commodité administrative et de vagues préoccupations de financement. (…) La Commission ne peut pas donner de directives retirant les services offerts en français à Montfort, en particulier lorsque les services ne sont pas offerts en français à temps plein ailleurs dans la région d’Ottawa-Carleton, sans d’abord établir que cette mesure est « raisonnable et nécessaire » aux termes de la LSF.24 »

En d’autres mots, on ne peut pas simplement dire que l’on a essayé d’offrir le service et que cela n’a pas fonctionné. Par exemple, les Règles de pratique de la Commission de la location immobilière de l’Ontario prévoient que lorsqu’un membre bilingue n’est pas disponible dans un délai raisonnable, alors le client aura droit à un service d’interprète25. Ceci n’est pas acceptable et est contraire à la jurisprudence, car « l’exercice de droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement26 ».

Les services en français ne sont pas qu’une obligation de moyens, mais de résultats27. Si cet article devait résister à une refonte de la Loi, ce que le commissaire ne souhaite pas incidemment, il doit continuer d’être interprété en fonction de l’objet général de la Loi ainsi que des principes d’interprétation bien établis en droits linguistiques et des principes non écrits de la Constitution canadienne, notamment le principe de respect des minorités. Le scénario le plus cohérent et en lien avec la jurisprudence serait l’abolition de cet article tout simplement.

1.8.1.7. Nominations

Le Secrétariat des nominations du gouvernement de l’Ontario se dit en recherche constante du vrai visage de la diversité et de la représentation régionale.

Bien que la réalité sociodémographique de l’Île-du-Prince-Édouard ne soit pas comparable à celle de l’Ontario, il y a quand même lieu d’indiquer que le pourcentage de francophones dans les deux provinces est relativement le même. À ce titre, l’article 6 de la Loi sur les services en français de l’Île-du-Prince-Édouard28 prévoit que le lieutenant-gouverneur en conseil ou un dirigeant d’une institution publique doit prendre en considération la représentation des membres de la communauté acadienne et francophone lors d’une nomination à un organisme, à un conseil ou une commission.

Même si elles ne représentent que près de 5 % de la population totale de l’Ontario, les communautés francophones n’en sont pas moins dynamiques et très actives dans le développement social, économique, culturel et politique de la province. Une représentation adéquate de francophones au sein d’organismes gouvernementaux extrêmement importants, comme les RLISS dans le domaine de la santé, des divers tribunaux décisionnels ou d’autres agences et commissions, permet de mieux représenter la population, de mieux la connaître et, donc, de mieux la desservir.


22 Commissariat aux services en français, Rapport d’enquête — Dépliant unilingue anglais sur la grippe H1N1 : Des communications en voie de guérison, Toronto, 25 mai 2011, disponible en ligne au csfontario.ca.

23 Desrochers c. Canada (Industrie), [2009]1 R.C.S. 194.

24 Ibid., au paragraphe 168.

25 http://www.sjto.gov.on.ca/documents/cli/Rules%20(fr)/CLI%20Regles%20de%20pratique.pdf article 7.7

26 R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768, au paragraphe 24.

27 Dans l’affaire Desrochers, il a été démontré que les services doivent être offerts de façon équivalente en français et en anglais, et que le résultat, c’est-à-dire l’obtention d’un service de qualité, doit être aussi équivalent.

28 Loi sur les services en français de l’Ïle-du-Prince-Edouard, chapitre F-15.2. Disponible au http://www.gov.pe.ca/law/statutes/pdf/f-15_2.pdf.

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