Rapport annuel 2014-2015

La parole aux sans-voix

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Jeunes : Qui fait la sourde oreille?

Programme de dépistage pour enfants malentendants ou sourds

Le programme de dépistage pour enfants malentendants ou sourds est géré par le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse. Il permet de déterminer les besoins des bébés nés avec des troubles de l’audition et fournit un appui et des services au développement du langage et des compétences littéraires afin que les enfants puissent développer leur plein potentiel.

Il faut normalement plusieurs plaintes pour isoler un problème systémique; la plainte suivante a levé le voile sur un grave problème de fond.

Une plaignante bénéficiait du Programme de dépistage néonatal des troubles auditifs et d’intervention précoce pour sa petite de trois ans et demi qui est sourde. La petite doit apprendre à communiquer avec la langue des signes québécoise (LSQ). Prévoyant déménager d’une région désignée sous la LSF à une autre, la mère s’est assurée du transfert adéquat du dossier de sa fille, et ce, plusieurs mois à l’avance. Elle a insisté pour continuer d’obtenir les services en français de façon ininterrompue. On lui a répondu qu’elle devrait attendre, car l’agence devait embaucher quelqu’un pour offrir la LSQ.

En dépit des démarches faites avant le déménagement, la mère se dit frustrée d’avoir dû attendre cinq mois avant d’obtenir le même service dont bénéficiait sa fille.

« C’est ironique. Nous sommes déménagés pour recevoir de meilleurs services pour notre fille, mais ce ne fut pas le cas. Je me suis sentie désemparée par rapport à l’absence de services en français (…) Un enfant sourd a les mêmes besoins d’une région à l’autre. C’est ce que je déplore. Les années critiques pour l’acquisition du langage sont de la naissance à 5 ans, et c’est dans cette période que plusieurs enfants et familles ne reçoivent pas les services dont ils ont désespérément besoin. »

Une plaignante

Ce programme, qui est géré par le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, est conçu pour répondre aux besoins spécifiques des enfants sourds ou malentendants et de leur famille, comme dans ce cas-ci. Mais cette histoire démontre bien que de tels besoins spécifiques et uniques des citoyens francophones n’ont pas été pris en compte.

L’enquête du Commissariat a rapidement permis de constater qu’aucune des douze agences responsables du Programme n’a présentement la capacité d’offrir la LSQ. Par conséquent, c’est un problème d’absence généralisée de services en Ontario.

Le ministère fait valoir que les services de LSQ ne sont pas les mêmes que les services en français, et que la demande de services en LSQ est très faible. Le commissaire n’est pas d’accord et il précise que, dans le rapport à venir concernant la gouvernance du Centre Jules-Léger, il aura apporté les nuances nécessaires. Tout de même, il s’agit là de parents démunis qui font tout pour construire un pont de communication dans une langue commune avec leurs enfants vulnérables. Le ministère s’est tout de même engagé à aider les familles francophones en attente de tels services. Le Commissariat promet de suivre la situation de près.

Restructuration de services de santé mentale aux jeunes

En 2014, le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse a entrepris une restructuration provinciale des services communautaires de santé mentale pour les enfants, les jeunes et leur famille. Pour le gouvernement, cette restructuration est certainement nécessaire, non seulement pour les francophones, mais pour l’ensemble des Ontariens. Le système est fortement fragmenté et plusieurs familles dans le besoin ne savent tout simplement pas où se tourner. Aussi, le ministère planifie se doter d’organismes responsables (« lead agencies ») pour chacune des 33 zones qu’il a désignées en Ontario.

Selon ce modèle, chaque organisme responsable devra assumer la planification et la prestation des services de santé mentale pour les enfants et les jeunes dans sa zone de services, y compris les francophones. Pour ce faire, les organismes responsables pourront s’occuper de fournir eux-mêmes les services de santé mentale aux enfants et aux jeunes francophones, ou confier cette tâche à des sous-traitants par le biais de contrats.

Pour le ministère, ce modèle intersectoriel est conçu pour renforcer le système communautaire et assurer des services de base de qualité de façon coordonnée. Il vise à ce que tous sachent quels services sont offerts dans leur communauté et comment y accéder.

Mais la communauté francophone soulève des inquiétudes légitimes.

Ces changements prévus ont suscité un certain nombre de commentaires, d’enjeux et de plaintes au Commissariat. Les inquiétudes portent sur le fait que des organismes unilingues, ou, au mieux, bilingues – en théorie seulement – soient responsables de la planification, de la livraison par d’autres ou de la prestation de services de santé mentale aux jeunes francophones dans les régions désignées. Les plaignants s’insurgent contre le fait que, si ça devait être le cas, le ministère ne s’acquitterait pas de ses obligations légales quant à l’offre de services linguistiquement et culturellement appropriés à sa clientèle francophone.

La question rejoint parfaitement les préoccupations du Commissariat qui désire se concentrer sur les populations précarisées. Et pour cause. Bien que le cadre de cette restructuration fasse état de la nécessité de tenir compte des besoins des jeunes issus des communautés francophones, les inquiétudes sont légitimes. Il s’agit d’un cas de « déjà vu » en matière de santé des francophones.

Dès 2013, plusieurs organisations ont dûment averti le ministère que tout changement devait prendre en considération les besoins particuliers des francophones à plusieurs niveaux (planification et prestation des services). Le Commissariat a donc pris le taureau par les cornes avant que des décisions irrévocables ne soient prises. Les rencontres se sont multipliées, principalement entre le ministère et l’Office des affaires francophones, mais aussi auprès d’autres ministères, afin de bien faire saisir au gouvernement l’urgence d’agir dès maintenant.

Le Commissariat a insisté afin que le ministère s’engage activement auprès de la communauté francophone ainsi qu’avec des chefs de file qui ont de l’expérience en santé mentale auprès des Francophones et de leur famille. Les premiers signaux sont encourageants. Par exemple, le ministère a rencontré les Entités de planification de services de santé en français. Il existe encore beaucoup d’enjeux à considérer, mais avoir des discussions ne peut jamais faire de torts.

Le ministère est très au fait des préoccupations soulevées par la communauté francophone à l’égard du plan de transformation des services de santé mentale. Le commissaire y voit un exemple d’occasion pour le gouvernement de faire preuve de leadership, et continuera de garder un œil intéressé sur l’évolution de la question.

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