Rapport annuel 2014-2015

La parole aux sans-voix

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Journal intime

Ma descente aux enfers

Juin 2013

Je me doutais bien que quelque chose ne tournait pas rond, et avec raison. Je viens de découvrir que mon fils a été agressé par son père, mon propre mari. Que faire? J’appelle une ligne d’aide où une francophone me conseille de signaler le tout à la Société d’aide à l’enfance.

La dame responsable des admissions à l’aide à l’enfance se dit bilingue, mais j’ai peine à la comprendre en français. Lorsqu’elle a interrogé mon fils, il est demeuré presque muet et n’a pas parlé de ce qui s’est passé avec son père. J’ai donc demandé à avoir quelqu’un de bilingue. L’aide à l’enfance m’a répondu « Mais vous avez quelqu’un de bilingue ». J’ai donc compris qu’ils n’avaient rien compris!

Entre-temps, on me dit d’aller à la police. Je demande à rencontrer une policière qui parle français pour mon fils. On en a trouvé une. Sauf qu’on place mon fils dans une salle séparée avec une stagiaire anglophone le temps de mon interrogatoire (en anglais). Mon interrogatoire est interrompu à trois reprises, car mon fils me cherche. Il ne veut pas jouer avec la dame qui parle anglais. Résultat, il s’est refermé pendant son interrogatoire.

Quelques jours plus tard, j’apprends que l’aide à l’enfance a acheminé à la garderie ainsi qu’à l’école de langue française de mon garçon une lettre en anglais disant que le père n’a pas le droit de voir le petit.

Finalement, le jour de l’audience arrive. L’avocat de l’aide à l’enfance qu’on m’envoie ne parle que l’anglais. La travailleuse sociale aussi. Au moins, le juge parle français.

Comme on me le recommande, je me trouve une avocate bilingue. Mon médecin, pourtant francophone, lui envoie une lettre en anglais attestant que je suis apte à poursuivre les démarches juridiques. Elle me demande alors de traduire toutes les déclarations que j’ai faites jusqu’ici. Ce sera plus facile de procéder en anglais, selon elle. J’abdique et je choisis mes batailles; celle d’assurer la sécurité de mon fils, et non celle de ma langue. Par contre, je garde intégrales et en français les déclarations de mon fils. Ce sont ses mots, dans sa langue.

J’obtiens un rendez-vous pour un examen de mon fils au centre hospitalier pour enfants. Le médecin spécialisé ne parle pas français, mais son infirmière oui. Mon fils était à l’aise avec elle. Quand ça se passe dans sa langue, il est plus calme, plus ouvert et apte à parler.

Juillet 2013

Je retourne en cour. Le juge s’exprime en anglais. Pour ajouter à la situation, l’aide à l’enfance est absente, mais elle a envoyé un fax en anglais le matin même. La lettre recommande des visites surveillées pour le père et offre de tenir de telles visites au centre de l’aide à l’enfance, en français. Ils disent que ça prendra deux semaines pour trouver quelqu’un qui parle français pour surveiller les visites. Alors le juge surprend tout le monde en me demandant de me trouver quelqu’un pour surveiller les visites de mon fils. Je panique. Je dois appeler des gens et leur dévoiler ma situation. Je n’en ai parlé à personne! J’ai trop honte.

Septembre 2013

Après quatre mois avec la responsable des admissions, l’aide à l’enfance m’assigne enfin une travailleuse sociale francophone.

Novembre 2013

Je retourne en cour, toujours pour la garde partagée. À ma surprise, ce n’est pas un juge, mais un médiateur qui est là. Il ne parle pas français.

Mars 2014

Je retourne en cour. Le juge est supposément bilingue… mais le procès se déroule en anglais. Comme nous n’avons plus de visites surveillées depuis sept mois, l’avocat du père suggère que la tante du petit (théoriquement ma belle-sœur) surveille les visites. Je m’y oppose farouchement. C’est la sœur de l’agresseur, elle n’est pas neutre. De plus, elle ne parle pas français, elle a été élevée en anglais.

Le juge demande à la tante « Do you speak French? » Elle baragouine qu’elle parle français. Le juge répond « Your French is as good as mine », provoquant des rires dans la salle. Le juge dit « I’m going on vacation. I’m going to make a decision and you might not like it, but I don’t want to think about it while I’m on holidays». Il ordonne des visites surveillées par la tante anglophone. Incroyable. Il suggère aussi une évaluation psychologique de mon fils.

Été 2014

Pour l’évaluation psychologique de mon fils, je trouve un psychologue francophone, le père trouve un psychologue anglophone. Le père s’oppose à mon choix, je m’oppose au sien. Je continue de chercher dans la région de la capitale nationale et personne ne peut m’aider en français. Je trouve un psychologue anglophone à Gatineau dont l’assistante francophone peut traduire les démarches. Je refuse. Je cherche au point de trouver une femme psychologue francophone à Montréal. J’ai dû faire le voyage à quatre reprises à Montréal pour qu’elle complète son évaluation pour la cour. Je ne lâche pas même si ça me dépasse.

Octobre 2014

Je retourne en cour. Le juge parle français, quel soulagement. Le rapport en français de la psychologue indique que je devrais avoir la pleine garde. Il fallait que je sorte de ma province pour obtenir un tel rapport dans ma langue qui m’appuie devant la cour.

Et après toutes ces démarches pour obtenir le droit de garde, coup de théâtre : le père renonce à ses droits d’autorité parentale. C’est la fin?

Rien n’est fini. Aujourd’hui, je poursuis le travail d’encadrement de mon fils avec des professionnels de langue française. Je n’ai pas le sentiment de victoire. Au contraire, je suis déçue. Beaucoup de gens m’ont déçue. Le système entier m’a déçue. Quand tu es en crise, tu es vulnérable. Je ne m’attendais pas à vivre ces manquements de services en français dans la capitale nationale.

Je suis éduquée, j’ai une bonne famille et un bon réseau. Mais j’ai touché le fond du baril. Avec mon parcours rempli d’embûches en matière de services en français, j’ai l’impression que le message reçu est que ça ne donne rien de se battre.

A-t-elle raison? Est-ce que cela ne donne rien de se battre?

J’ose croire que non, qu’elle a tort. Mais je peux certes comprendre son essoufflement. La communauté franco-ontarienne, collectivement, a fait des pas de géant au cours des dernières décennies, personne n’en doute. En 2016, nous célébrerons le 30e anniversaire de la Loi sur les services en français. Mais tous ces efforts et ces gains collectifs ne servent pas à grand-chose si, sur le plan humain et donc fortement individuel, le citoyen ne peut recevoir les services auxquels il a droit, en temps opportun et de qualité. Voilà pourquoi il demeure si crucial de tendre la main à ces francophones, de leur offrir les bons services et de leur montrer qu’ils sont aussi importants comme citoyens que leurs compatriotes anglophones. Car, au bout du compte, laisser tomber un citoyen dans sa quête de services en français, surtout si cette personne se trouve en situation de vulnérabilité, c’est aussi laisser tomber l’ensemble de la communauté, la province et son pays.

Nous sommes l’Ontario, nous sommes des leaders au pays. Agissons comme tels.

Je m’en voudrais de ne pas profiter de l’occasion pour remercier tous les membres du personnel, Alison, Anne et Mohamed, ainsi que François-Michel et Kim qui nous ont malheureusement quittés cette année, pour leur contribution exceptionnelle. Encore une fois, dans une année où, à notre grande déception, de nouvelles ressources tant convoitées depuis 2007 n’ont toujours pas été au rendez-vous, ils ont su démontrer de l’empathie, de l’écoute, du professionnalisme et un engagement remarquables. Merci.

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