Chapitre 2
Un cheminement humain
2.4 Justice
« L’anglais et le français sont les deux langues officielles des tribunaux de l’Ontario, et il appartient aux tribunaux d’assurer le respect des droits linguistiques [dont l’interprétation doit être] compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada et avec le respect de leurs cultures. »19
En dépit de cette décision catégorique de la Cour d’appel de l’Ontario et comme il le déplorait déjà dans son premier rapport annuel, le commissaire reçoit régulièrement des plaintes concernant la prestation de services en français dans le secteur de la justice.
Cette année seulement, le personnel du Commissariat a dû prêter main-forte à des citoyens francophones à qui avait été indûment attribué un interprète20, plutôt qu’accordée une audience bilingue, ou encore qui n’arrivaient pas à obtenir des services en français au comptoir de tribunaux. Un justiciable en particulier a dû faire des pieds et des mains, parfois au corps défendant du magistrat, pour revendiquer son droit de se faire entendre en français.
Aussi désolantes soient-elles, ces plaintes n’ont malheureusement rien d’étonnant compte tenu du très grand nombre de contacts qu’ont les citoyens avec la justice tous les jours (pensons aux amendes à acquitter, aux causes à entendre, aux successions à régler…), des nombreux intervenants en cause (justiciables, forces de l’ordre, magistrats, municipalités, avocats, greffes des tribunaux…) et, surtout, des subtilités de la réglementation régissant l’accès à la justice en français en Ontario.
C’est que, en ce qui concerne ce dernier point, il existe une convergence nébuleuse entre les droits que confèrent notamment la Loi sur les services en français et la Loi sur les tribunaux judiciaires aux justiciables de langue française. Au risque de trop simplifier, disons seulement que les justiciables de l’Ontario ont droit à l’« administration de la justice » en français, c.-à-d. les services administratifs fournis aux comptoirs des palais de justice, dans 25 régions désignées de l’Ontario, en vertu de la Loi sur les services en français, et qu’ils ont droit à l’« exécution de la justice » en français, c.-à-d. le déroulement des procédures dans le tribunal, partout en Ontario, en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires.
Or, il ne semble pas que cette impression nébuleuse soit confinée aux justiciables : plusieurs plaintes reçues au Commissariat ont pour origine le manque de compréhension des droits linguistiques des francophones de l’Ontario de la part des employés des palais de justice, voire des magistrats mêmes. D’où la recommandation formulée par le commissaire dans son rapport annuel 2008-2009 à l’appui de la constitution d’un comité de spécialistes du droit chargé de parfaire les connaissances des membres de la magistrature en matière de droits linguistiques et de proposer des pistes d’action pour la nomination de juges bilingues.
Si la justice est aveugle, la recommandation, elle, n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd : le commissaire a pu chaleureusement applaudir, dans son rapport annuel 2009-2010, le fait que le ministère du Procureur général allait former et missionner un Comité de la magistrature et du Barreau mené par un magistrat et un juriste d’expression française réputés.
Et, comme de fait, en août 2012, le Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français a publié son rapport sur l’accès à la justice en français en Ontario21. Par ailleurs, pour confirmer que ce rapport déterminant ne resterait pas lettre morte, un communiqué de presse conjoint entre le Commissariat et le ministère du Procureur général a été diffusé en novembre 2012 afin d’annoncer la création d’un comité directeur composé de représentants du secteur de la justice et d’autres organismes, chargé d’examiner et d’élaborer un plan de mise en œuvre en réponse aux recommandations du rapport du Comité consultatif.
Il s’agit là d’une excellente nouvelle puisque le rapport, solidement étoffé, peint non seulement un portrait véridique et lucide de l’expérience du francophone en quête de justice en français en Ontario (p. ex., procédures plus difficiles, plus longues et plus coûteuses, personnel peu sensible ou sensibilisé au droit à la justice en français), mais propose également des pistes de solution aussi avérées qu’audacieuses à l’appui d’un accès égal à la justice en français (p. ex. offre active de services en français, accompagnement du justiciable du début à la fin de la procédure, amélioration de la formation des magistrats en matière de droits linguistiques).
Le commissaire est ravi de pouvoir compter sur le leadership du procureur général pour mettre en œuvre le plan d’action esquissé dans le rapport, et a bon espoir que les nouvelles solutions conjuguées à la responsabilisation accrue qu’il évoque dans la section 1.3.1 du présent rapport feront en sorte qu’à terme, les francophones n’auront plus « à se heurter à des obstacles au regard de l’accès à la justice en français [qui] empêchent l’exercice légitime des droits linguistiques des francophones devant les tribunaux de l’Ontario22 ».
Entre-temps, le Commissariat continuera évidemment à tenter de secourir les justiciables coincés par le système et le commissaire veillera à rencontrer périodiquement les autorités du ministère du Procureur général pour entendre leurs bonnes nouvelles sur la progression de la mise en œuvre des recommandations.
19Belende c. Patel, 2008 ONCA 148 au para. 24.