Rapport annuel 2012-2013

Une nouvelle approche

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Avant-propos

En tout premier lieu, permettez-moi de remercier chaleureusement le gouvernement de l’Ontario, particulièrement la ministre déléguée aux Affaires francophones, pour la confiance manifestée à mon endroit en m’accordant un autre renouvellement de mandat, de cinq ans cette fois-ci. Voilà tout un honneur et un privilège que de servir la communauté et de faire partie d’une fonction publique engagée, dynamique et compétente. Je profite aussi de l’occasion pour remercier l’équipe efficace et dévouée qui m’appuie dans mes fonctions.

Dans la foulée de l’annonce de mon renouvellement, on m’a beaucoup posé la question à savoir quelles allaient être les priorités du Commissariat pour les prochaines années. Il est entendu que les plaintes provenant du public demeurent un important point d’ancrage de nos activités. À cela s’ajoutent les interventions et actions dictées par les courants de l’actualité et les décisions gouvernementales du jour, incontournable réalité dans un poste comme le mien.

Ce qui paraîtra peut-être un peu plus étonnant est que j’entrevois également comme autre important point d’ancrage de nos activités quotidiennes les plaintes… que nous ne recevons pas. En effet, beaucoup de citoyens ne se plaindront jamais d’un manque de services en français de la part du gouvernement de l’Ontario ou de quelque autre autorité. D’une part, parce qu’ils n’ont jamais été activement informés du fait qu’ils jouissent de tels droits ou, d’autre part, parce que même s’ils connaissent leurs droits, leurs circonstances font en sorte qu’il serait très difficile pour eux de se plaindre. C’est donc aux membres de ces populations précarisées que j’aimerais que soit consacrée une importante part de nos activités.

Cela dit, le Commissariat ne dispose que de très peu de ressources, tant humaines que financières. Il nous faut donc nous focaliser davantage sur notre mission et continuer de faire le plus de différence possible avec les moyens que nous avons. Cela signifie faire des choix.

Une nouvelle approche s’avère nécessaire.

Il va sans dire que nous accueillerons toujours chaleureusement les plaintes des citoyens — cela ne change pas et ne changera jamais —, mais celles-ci seront dorénavant davantage traitées sous un angle systémique. Qu’on se comprenne bien : nous continuerons d’intervenir rapidement dans les cas où une action immédiate s’impose, notamment en faisant comprendre aux ministères et autres organismes gouvernementaux que nos clients sont d’abord et avant tout leurs clients, et qu’ils sont, au final, responsables de redresser les torts causés à leurs clients par leurs possibles écarts. Toutefois, au-delà de ces interventions ponctuelles, je tiens à ce que l’action de notre bureau se concentre sur ce qui est le plus susceptible de faire une différence dans le développement et l’épanouissement de la communauté francophone.

On pourrait diviser les plaintes reçues en quatre grands secteurs : justice, santé, services gouvernementaux, et autres ministères et organismes gouvernementaux. Mais qu’en est-il des plaintes « non reçues », comme je les évoque ci-dessus? Par exemple, des ministères qui offrent une panoplie de services directs et indirects à la population, tels que le ministère des Services sociaux et communautaires et le ministère des Services à l’enfance et à la jeunesse, sont très peu mentionnés dans nos dossiers. Est-il judicieux pour nous de ne pas nous arrêter à ceux-ci faute de plaintes, quand leur clientèle est largement composée des populations précarisées? Bien sûr que non : il nous faut nous assurer que ces populations reçoivent activement, respectueusement et systématiquement les bons services gouvernementaux en français, car, déjà fragilisées, elles n’oseront jamais lever la voix, même s’il y va de leur intérêt.

On me demande souvent combien il en coûte d’offrir des services en français ou, de mon point de vue, combien il en coûte de respecter la loi. Or, la question plus juste à se poser n’est-elle pas l’inverse, soit combien il en coûte au système public de contrevenir à la loi et de ne pas offrir de services en français de qualité, dès la première interaction avec le citoyen? Car le citoyen qui n’a pas reçu le bon service, qui n’a pas bien compris les prescriptions, les directives ou les consignes, ou qui n’a pas reçu le bon diagnostic ou le bon traitement, retournera une seconde fois, voire une troisième fois, chez les fournisseurs de services, alourdissant le système et créant davantage de frais pour les contribuables ontariens.

On souligne cette année les cinquante ans des débuts de la Commission sur le bilinguisme et le biculturalisme. Dans ses rapports de conclusion, la Commission préconisait la création de districts bilingues qui auraient recoupé les paliers fédéraux, provinciaux et municipaux. Comme on le sait, cela n’a pas été mis en vigueur, le gouvernement fédéral ayant préféré le bilinguisme personnel plutôt que territorial. De fait, les recommandations indiquant que le français et l’anglais soient déclarés les langues officielles au palier fédéral, mais aussi dans les provinces de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, sont parmi celles qui ont généré le plus d’attention à l’époque.

Cinquante ans plus tard, il est légitime de se poser les questions suivantes : est-ce que l’Ontario a trouvé son équilibre relativement au renforcement des droits de sa minorité francophone sans devenir une province officiellement bilingue? Comment l’Ontario a-t-il pu concilier multiculturalisme et francophonie? En ce qui me concerne, il m’apparaît plus facile de répondre à cette dernière question grâce à l’adoption en 2009 de la nouvelle Définition inclusive de francophone (DIF), l’une des réalisations du gouvernement dont je suis le plus fier au cours de mes premières années de mandat à titre de commissaire.

Quant à la première question posée, la réponse nécessite que soit pris un peu de recul. Et c’est précisément ce que le présent rapport annuel cherche à faire, à savoir tenter d’analyser les réalisations du gouvernement, non pas dans l’optique restreinte d’une seule année, mais surtout dans celui plus large des six dernières années.

En effet, la dernière année en a été une de transition où, semble-t-il, l’ensemble de l’appareil gouvernemental attendait de savoir la direction qu’allait impulser une nouvelle première ministre ou un nouveau premier ministre. Cela ne veut pas dire que le gouvernement restait assis sur ses mains. Mais voilà pourquoi le lecteur retrouvera un nombre limité de recommandations dans ce rapport annuel, puisqu’il s’agit d’un état des lieux des enjeux soulevés.

Cela dit, bien que la province ne soit pas reconnue comme officiellement bilingue, il n’en manque pas beaucoup. Les lois sont adoptées dans les deux langues, les deux versions ayant égale force de loi. On peut ester en justice en français partout en Ontario. Et on peut communiquer et recevoir des services en français dans la plupart des régions de cette grande province où se trouvent des francophones. Je demande donc aux Ontariens de continuer de faire ce qu’ils font de mieux, soit d’être des leaders dans la promotion et la protection des minorités, y compris l’une qui fait partie intégrante de son patrimoine, de son histoire, de son identité tout comme de son avenir : la communauté francophone.

Recevoir des services en français n’est pas simplement un droit en Ontario. Comme me l’a, à juste titre, rappelé une participante lors d’une activité de la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne, c’est aussi une question de fierté. La fierté de pouvoir entreprendre, par exemple, des études postsecondaires en français en Ontario, fierté que ne peuvent partager tous les étudiants dans tous les domaines et encore moins ceux de la région du Centre-Sud-Ouest. La fierté de savoir que la langue que l’on emploie est reconnue, valorisée et utilisée par l’administration de la province. Car, après tout, la fierté ne se légifère pas. Elle se vit et se constate.

Au cours de la dernière année, j’ai ratifié des protocoles d’ententes auprès, notamment, des commissaires fédéral et du Nouveau-Brunswick. De telles ententes, qui ont officialisé les collaborations existantes, sont bénéfiques non seulement pour la population, mais pour les membres de nos équipes respectives puisqu’elles favorisent un traitement plus efficace des plaintes entre ces administrations de même que le transfert de connaissances entre les organisations. (J’en profite pour saluer la reconduction de Graham Fraser au poste de commissaire aux langues officielles pour une autre période de trois ans — bravo! — et pour remercier le commissaire Michel Carrier, du Nouveau-Brunswick, de même que Graham, des conseils, du soutien et de l’amitié qu’ils m’ont offerts depuis mon entrée en poste). De tels protocoles d’entente et types d’accord, il y en aura d’autres. Il y va de l’efficience de notre bureau, mais aussi de la façon dont on peut le plus efficacement possible communiquer avec la population francophone et francophile.

J’ai entrepris de nombreuses et fructueuses démarches auprès d’associations francophiles, comme Canadian Parents for French; il s’agit là d’un axe que je souhaite explorer davantage. Car, après tout, comme on l’indique dans le rapport, avec un taux de couples exogames de près de 70 % dans l’ensemble de la province, la distinction entre qui est francophone et qui est francophile est de moins en moins évidente. Matière à réflexion.

Lors d’un colloque organisé par le Collège universitaire Glendon et le Commissariat aux langues officielles du Canada en février 2013, il a été suggéré de redoubler les efforts pour maintenir un très haut niveau de qualité du français. Je suis évidemment d’accord avec cette approche, particulièrement en ce qui a trait aux communications provenant du gouvernement, de ses ministères, organismes gouvernementaux et tierces parties agissant en leur nom. Mais il faut faire attention, en Ontario, la diversité est tellement importante, y compris pour la population francophone, que tous ont des accents. Et il est vrai qu’il pourrait se glisser de temps à autre quelques expressions anglaises. Si on utilise que la coercition, comme me l’a rappelé justement Michel Carrier, la seule chose que l’on va apprendre à cette personne est de se taire. Car, après tout, il faut respecter notre histoire personnelle, notre contexte, bref, qui nous sommes. Il en va de même pour l’individu en face de nous. Et si cela veut dire devoir prononcer ou entendre un mot en anglais dans une phrase, alors soit. S’exprimer autrement serait de toute façon plutôt awkward.

Parlant de s’exprimer, le Commissariat innove encore une fois en présentant aussi une nouvelle approche pour communiquer avec la population. Le lecteur est en effet encouragé vivement à consulter ce rapport en ligne puisqu’il se veut interactif, convivial et enrichi de contenu pertinent. De plus, notre nouveau site Web offre davantage d’information sur les activités courantes du Commissariat, facilite la recherche par secteurs d’intérêt et — je le souhaite — stimulera d’autant plus les échanges et les débats.

Le présent rapport jette un regard sur le passé et surtout les bases d’une nouvelle approche pour le Commissariat. Il me tarde de mener cette dernière à bien, avec l’appui des membres dévoués de la fonction publique ainsi que des fiers citoyens francophones et francophiles de l’Ontario.

Bonne lecture.

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