Ce lieu se veut d’abord un espace d’échanges, d’interactions et de discussions. Nous encourageons donc le partage d’arguments et de points de vue divergents, sans toutefois qu’une forme d’échange privé s’installe entre deux participants. Veuillez prendre connaissance des conditions d’utilisation avant de participer au blogue.
François Boileau
Commissaire aux services en français
La semaine dernière se tenait le 36e congrès annuel de l’AJEFO exceptionnellement à Lafayette en Louisiane sous le thème « Du Canada à la Louisiane : une justice multiple, un français vivant! ». Et oui, le français est bel et bien vivant en Louisiane. De fait, c’est l’une des premières choses que l’on constate, alors que les annonces à l’aéroport de Lafayette sont faites également en français. Pourquoi la Louisiane? Comme l’écrit le président Me François Baril dans son mot d’ouverture, l’AJEFO accueille cette année des confrères et consœurs du Québec, de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de l’Alberta, de la Saskatchewan et bien entendu, de la Louisiane : un événement rassembleur et mobilisateur autour de conférences de haut calibre.
Un premier panel, situé au superbe palais de justice de la Cour fédérale américaine, portait sur l’accès à la justice en français. Comme le disait Me Gauthier, de Lafayette, « Je peux être un avocat, mais pas un interprète en même temps », sur les défis de pouvoir plaider en français en Louisiane, car, oui il est possible de le faire. Me Doucet, du Nouveau-Brunswick, mentionnait qu’au niveau des décisions bilingues, c’est la maison d’édition qui décide de la traduction des décisions des tribunaux dans l’intérêt public, au lieu que ce soit le juge ou un comité de juges, avec des résultats plus ou moins probants bien entendu. La juge Marianne Rivoalen, du Manitoba, explique quant à elle que l’un des problèmes d’avoir si peu de juges qui parlent et comprennent le français est que trop souvent, les plaideurs savent que s’ils demandent un procès en français, ils vont automatiquement se retrouver devant elle… car elle est la seule juge en droits de la famille et les avocats craignent de savoir à l’avance ce qu’elle va décider! Un autre défi rencontré est que, bien souvent, l’interprétation va être pour les avocats alors que toutes les parties comprennent le français, y compris le juge. Ainsi, en raison de l’interprétation, les audiences sont plus longues et plus coûteuses.
L’honorable Paul Rouleau, de la Cour d’appel de l’Ontario, se veut l’optimiste du groupe. Et il a raison. Le gouvernement de l’Ontario prend très au sérieux les recommandations émises dans le rapport « L’accès à la justice en français » dont il a été le co-président. Il parle aussi de la bonne volonté manifeste de toutes les parties prenantes, que ce soit les différentes divisions au sein du ministère du Procureur général, des greffes des cours de tous les niveaux, des juges de tous les niveaux, des intervenants communautaires et juridiques, du Barreau du Haut-Canada ainsi que de la police provinciale et des écoles de droit. Pour lui, il importe de créer le service et en faire de l’offre active pour convaincre les citoyens qu’ils ont raison de demander leurs services en français. Enfin Me Tremblay, du Commissariat aux langues officielles du Canada, rappelle les grandes lignes de l’étude conjointe menée par son bureau avec les deux collègues provinciaux, soit la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick et moi-même, sur l’accès à la justice dans les deux langues officielles. Il n’y a pas d’évaluation objective des besoins de la cour en matière de capacité de desservir la population dans les deux langues. Il n’y a pas non plus d’évaluation objective des compétences linguistiques des candidats à la magistrature nommé par le fédéral. L’accès à la justice en français doit devenir, selon elle, une priorité des communautés minoritaires de langue officielle au même titre que la santé et l’immigration l’ont été au cours des dernières années. Voilà une idée franchement intéressante et prometteuse.
Le panel suivant portait sur les règles d’éthique des praticiens et les difficultés relatives aux interactions entre avocats et les citoyens unilingues. La professeure Rigaud, du Québec, indique que la Fédération des ordres professionnels de juristes (FOPJ) a adopté une disposition, semblable à celle présente en Ontario, sur les droits linguistiques des citoyens et l’obligation pour les avocats d’en informer les clients. Ce n’est donc plus seulement une question d’éthique, mais une question de déontologie car cela touche la compétence même de l’avocat en question, s’il n’est pas capable de donner des conseils juridiques à ses clients francophones. Outre l’Ontario, le Nouveau-Brunswick, le Manitoba et la Saskatchewan ont maintenant une telle clause dans leurs règles de déontologie. Ce n’est pas rien.
Charles Larroque, le directeur exécutif du CODOFIL, l’équivalent louisianais de notre Office des affaires francophones, a prononcé un discours touchant, percutant, saisissant et inspirant. « Liberté, OK. Égalité, couci-couça. Mais fraternité, ça, on l’a! » plaide-t-il en parlant de son État. Il a mentionné que la Louisiane, malgré sa pauvreté, est ce qui donne au reste des États-Unis, son âme, non pas seulement de par la langue, mais aussi de par la résilience tranquille de ses peuples, de leur infatigable volonté de continuer d’exister. J’ai eu la chance de passer une soirée complète en sa compagnie. Quel homme remarquable! Plein de sagesse, d’espoir et de détermination obstinément farouche. Il me fait beaucoup penser aux personnages des chansons de son compatriote Zacharie Richard en fait. Nous promettons de garder contact puisque de nombreux échanges peuvent être mis de l’avant, que ce soit dans des domaines aussi variées que les télécommunications, le réseautage au niveau des organisations représentant la jeunesse ou des parents d’élèves en immersion française.
Dans un panel portant sur l’éducation et les droits linguistiques au Canada et la situation du français dans les écoles en Louisiane, Me Mercantel, du même état, nous rappelle d’abord qu’en Louisiane, pendant longtemps, il n’était pas interdit d’enseigner le français, mais on ne pouvait pas enseigner en français. Beaucoup de citoyens ne savaient même pas que l’on pouvait lire le Cadien, puisque l’on ne faisait que le parler. Maintenant, il existe des écoles d’immersion où le français est enseigné à 100%. De fait, on retrouve en Louisiane 26 écoles d’immersion, 166 professeurs pour tout presque de 5 000 élèves depuis 1983. Et la croissance est continue et soutenue. L’intérêt est là et grandissant. Depuis une nouvelle loi en 2014, si 25 élèves sont prêts à s’inscrire dès la maternelle, le conseil scolaire local doit fournir une école. On se comprend que certains conseils scolaires ne sont pas heureux de cette nouvelle loi et les avocats louisianais ne seraient pas étonnés qu’elle soit contestée éventuellement. Cette loi est révolutionnaire pour les États-Unis puisque des parents peuvent choisir d’éduquer leurs enfants dans une autre langue que l’anglais.
Mme Hammat de la Louisiane nous indique qu’il existe maintenant une compétition vers l’excellence entre les écoles d’immersion. Et pour cause, puisqu’elles peuvent maintenant être certifiées en immersion en fonction de points obtenus en raison de la qualité des professeurs, du nombre d’heures enseignées en français, etc. Les professeurs viennent encore massivement de France et de Belgique, mais il appert qu’une nouvelle génération de professeurs, issus des écoles d’immersion en Louisiane est prête à porter le flambeau. Bien entendu, comme ici d’ailleurs, les études démontrent que les élèves d’immersion réussissent mieux à l’école, notamment en mathématiques!
Me Rouleau, de l’Ontario, qui a plaidé avec succès l’affaire Rose-des-Vents en Cour suprême du Canada tout récemment, rappelle les faits entourant la pauvreté de cette école, tout doit sortie d’un livre de Victor Hugo… Interdiction de jouer au ballon dans la cour, car le risque est trop grand de se frapper dessus tellement la cour est petite. L’école secondaire a justement été construite dans cette même cour d’école primaire. Les enfants ont des poux régulièrement puisqu’il n’y a même pas de place pour accrocher tuques et manteaux d’hiver. Il s’ensuit que les parents fuient cette école. Ce que la Cour suprême désapprouve.
Enfin un autre panel portait sur l’histoire et l’avenir du fait français en Louisiane. Les participants ont eu droit à un invité surprise de marque en la personne d’un membre de la Chambre des représentants de l’état de la Louisiane, Stephen Ortego, un fier Cadien (et non Cajun qui se dit davantage en anglais). Quelle passion démontrée pour le français en son État! Le professeur Barry Jean Ancelet, de l’Université de la Louisiane, nous rappelle que « Pour avoir un avenir, il faut laisser des traces ». Pour lui, la question n’est pas de savoir si il y a un avenir du français en Louisiane, mais de se demander par quel miracle il y en a encore tellement les embûches rencontrées étaient grandes. La honte de parler français, l’interdiction d’enseigner le français et la crainte de parler une langue vue d’un autre niveau socialement et économiquement parlant. De fait, selon lui, si le français a survécu jusqu’au XXe siècle, c’est par négligence… « Nous voulons être nous-mêmes, en français ». Il ajoute : « En Louisiane, écrire et parler en français, c’est parier sur l’avenir ».
En terminant, mentionnons que l’Ontario était fort bien représenté par la Procureure générale de l’Ontario et ministre déléguée aux Affaires francophones, l’honorable Madeleine Meilleur qui a notamment invité tous les avocats francophones à convaincre leurs clients francophones de demander des services en français devant les tribunaux de l’Ontario. La sous-ministre adjointe de l’Office des affaires francophones, Me Kelly Burke, a pour sa part expliqué davantage en détail le projet-pilote sur l’accès à la justice en français dans la région d’Ottawa.
Un congrès remarquable. J’en profite aussi pour remercier et féliciter chaleureusement tous les membres du comité organisateur certes, mais aussi les membres de la petite, mais non moins dynamique, équipe de l’AJEFO pour un congrès réussi au quart de tour, avec des conférenciers chevronnés et pertinents et des activités inoubliables. En un mot comme en cent, merci.
La Procureure générale et ministre déléguée aux Affaires francophones, l’honorable Madeleine Meilleur, a été l’hôtesse cette semaine à Toronto de la 20e Conférence ministérielle de la francophonie canadienne. Mon collègue Graham Fraser et moi avons été invités à rencontrer ces ministres et hauts fonctionnaires responsables des affaires francophones de toutes les provinces et territoires, incluant aussi le représentant de la ministre fédérale du Patrimoine canadien.
Bien que les discussions aient eu lieu à huis clos, les lecteurs ne seront pas étonnés d’apprendre que les sujets évoqués par mon collègue et moi portaient sur des enjeux comme l’immigration, le manque de programmes en français au niveau du postsecondaire, la difficulté pour les francophones vivant en situation vulnérable de demander des services en français et bien entendu, l’importance du concept de l’offre active. Nous avons aussi échangé sur les services gouvernementaux et comment ceux-ci doivent être repensés de façon à non seulement desservir l’individu dans la langue de son choix, mais aussi desservir l’ensemble de sa communauté linguistique. Nous avons également discuté de la valeur économique d’avoir une main d’œuvre qualifiée dans les deux langues officielles du pays ainsi que tout l’immense potentiel de croissance économique que peut nous apporter l’afflux de tous ces nouveaux arrivants qui font maintenant partie de la diaspora de la francophonie canadienne.
Comme toujours, ces rencontres se veulent les plus productives possibles, aussi, les échanges sont sérieusement limitées, les organisateurs ayant en tête de maximiser le temps pour d’autres activités. Cela dit, il s’agit d’une occasion de réseautage hors du commun. Comme j’entendais l’actuel professeur de droit Benoît Pelletier et ancien ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes du gouvernement du Québec dire à Radio-Canada, imaginez le scénario où ces échanges n’existeraient pas, où il n’y aurait pas de possibilités de faire front commun sur des sujets d’intérêts et où on ne pourrait apprendre de ce qui se passe ailleurs. Ce serait impensable.
Un mot également pour remercier la ministre Meilleur ainsi que toute l’équipe de l’Office des affaires francophones pour une ouverture des célébrations du 400e de la présence française en Ontario par une soirée totalement réussie au Musée royal de l’Ontario. Les invités présents ont eu droit à une mini-version du spectacle haut en couleur de L’Écho d’un peuple ainsi qu’une prestation charmante du divertissant et incontournable chanteur franco-ontarien Damien Robitaille.
Parlant du ROM, ne manquez pas, si vous êtes dans la métropole canadienne, La fièvre du vendredi soir, une activité de musique dans une ambiance incomparable.
Je veux faire un retour sur la publication de mon tout récent rapport annuel 2014-2015 La parole aux sans-voix. Le cas de Mme Tremblay (nom fictif) a fait couler beaucoup d’encre, ce qui était l’objectif d’ailleurs.
Son histoire bouleversante a un effet domino puisqu’il touche plusieurs secteurs (centres de santé, professionnels de la santé, hôpital, services policiers municipaux, justice, aide à l’enfance, etc.) illustrant la complexité de certains cas. Trop d’histoires comme celle-ci sont passées sous silence et ça me laisse parfois l’impression qu’on ne saisit pas encore la pleine mesure du travail réalisé sur une base hebdomadaire par la petite équipe du Commissariat.
Nous traitons avec la réalité humaine dans toute sa complexité et toute sa vulnérabilité. Alors je vous demande si cette dame a raison d’être à bout de souffle et de nerfs. Je vous demande si cela ne donne rien de se battre?
Laisser tomber un citoyen dans sa quête de services en français, surtout si cette personne se trouve en situation de vulnérabilité, c’est aussi laisser tomber l’ensemble de la communauté, la province et son pays. Mon message au gouvernement est clair. Nous sommes l’Ontario, nous sommes des leaders au pays. Agissons comme tels.
Ce blogue vous est présenté par notre blogueur invité et nouvel employé, Yves-Gérard Méhou-Loko, l’un de nos trois chefs de projets et chargée des liaisons communautaires. Voici son résumé 2 de 2 de la conférence de l’Association internationale des commissaires aux langues officielles qui a eu lieu à Ottawa les 20 et 21 mai dernier.
Le respect des droits
Il va sans dire que la pérennité des commissaires passe par une collaboration avec les gouvernements pour l’établissement de nouvelles politiques et en restant attentif aux initiatives communautaires qui ont pour résultats d’influencer l’action des gouvernements. Michelle Landry, professeure de sociologie à l’Université de Moncton, relate en effet comment l’émotion et le désir de justice sociale émanant de la communauté a eu pour effet de modifier ostensiblement les décisions du gouvernement au Nouveau-Brunswick. Aujourd’hui, ce désir de justice sociale se manifeste chez certains parents canadiens par la volonté de voir leurs enfants maîtriser les deux langues officielles. Selon le président de Canadian Parents for French, Philip Fenez, l’objectif principal des parents est de permettre aux enfants canadiens d’avoir les meilleures opportunités. Pour atteindre cet objectif de justice sociale, son organisme milite ardemment auprès des différents paliers de gouvernement pour influencer les politiques linguistiques.
Me Roger Lepage, avocat chez Miller Thompson LLP, rappelle cependant que dans l’histoire canadienne cette volonté de justice sociale exprimée par des parents francophones vivant en milieu minoritaire, s’est bien souvent traduite par des actions devant les tribunaux afin de faire reconnaître des droits linguistiques. Selon lui, l’évolution des causes linguistiques devant les tribunaux canadiens témoigne de la nécessité de changer de paradigme afin de lier les droits linguistiques et droits de la personne. L’avocat Mark Power souligne que si les tribunaux sont si souvent requis dans les causes linguistiques, c’est bien parce que certains gouvernements incitent eux-mêmes à la contestation judiciaire.
Le défi indien
Imaginez un pays ayant…1 652 langues parlées et 22 langues officielles! Un vrai défi pour un commissaire linguistique. Voici le cas très atypique de l’Inde. Le commissaire national pour les minorités linguistiques de l’Inde, Akhtarul Wasey (en anglais), a livré un témoignage fascinant sur l’expérience indienne dont la complexité est inégalée. Selon lui, l’établissement d’un consensus national sur la question linguistique est aujourd’hui garante de la paix et de la démocratie indienne. Le gouvernement indien semble privilégier une décentralisation géolinguistique qui favorise la survie de certaines langues «tribales».
Les langues autochtones
Au Canada, la situation des langues autochtones est alarmante. Dans le portrait des langues autochtones au Canada présenté par l’avocate Naiomi Metallic, on se rend vite à l’évidence de la méconnaissance que nous avons de la situation précaire des langues autochtones. Ainsi, impossible de savoir avec certitude combien de langues autochtones sont encore parlées au Canada. Selon plusieurs intervenants lors de la conférence, ce chiffre se situerait entre 50 et 90, certaines ayant quelques dizaines de locuteurs seulement. Une situation qui traduit bien le fait que certaines langues soient aujourd’hui menacées par l’absence de structures assurant leur protection. De plus, l’Histoire démontre aussi comment le ou les colonisateurs ont imposée leur langue à la désormais minorité. Aujourd’hui si internet est une des principales raisons de la disparition rapide de ces langues, les nouvelles technologies sont aussi une solution à leur survie. La diffusion de certaines initiatives, comme l’Atlas linguistique algonquin et le dictionnaire innu, passe désormais par internet pour rejoindre les communautés. Pour les autochtones canadiens, une maxime s’impose comme le souligne Bonnie Jane Maracle de l’Université de Toronto : Use it or lose it !
L’exemple du Nunavut nous permet de croire que la réconciliation est possible entre la minorité qui s’est vu imposer une langue et la majorité qui contrôle les institutions. Comme l’indique Sandra Inutiq, Commissaire aux langues officielles du Nunavut, si l’inuit a le statut de langue officielle au Nunavut, il ne possède pas les mêmes droits que les deux autres langues officielles (français et anglais).
Cette conférence internationale des commissaires linguistiques a permis de mettre en lumière les défis auxquels font face les institutions chargées de protéger nos droits linguistiques. Si aujourd’hui le Canada est perçu dans le domaine comme un exemple à suivre, nous devons constater que la survie des droits linguistiques est inhérente à la collaboration entre les gouvernements et les commissaires linguistiques. Les progrès réalisés dans la protection des droits linguistiques peuvent malheureusement être menacés par des décisions ou jugement qui peuvent annihiler des années de travail.
Ce blogue vous est présenté par notre blogueur invité et nouvel employé, Yves-Gérard Méhou-Loko, l’un de nos trois chefs de projets et chargée des liaisons communautaires. Voici son résumé 1 de 2 de la conférence de l’Association internationale des commissaires aux langues officielles qui a eu lieu à Ottawa les 20 et 21 mai dernier.
La salle du douzième étage du pavillon Desmarais de l’Université d’Ottawa est bondée. Autour de moi, j’entends toutes sortes de langues et de sons qui me sont inconnus. Une conversation en inuktitut devant moi (j’apprendrai d’ailleurs qu’il est préférable d’employer le terme inuit pour désigner la langue parlée par les habitants du Nord canadien), des rires acadiens, une représentante suisse qui passe allégrement du français à l’anglais en passant par l’allemand avec son homologue belge et des Kosovars qui me racontent en anglais comment la guerre a déchiré leur pays. Un scénario idéal pour une conférence de l’Association Internationale des commissaires linguistiques tenue dans un pays qui a officiellement deux langues officielles et dont la capitale est unilingue.
Des gens de partout avec des défis communs. Très vite, au détour de conversations autour d’un café nous nous rendons à l’évidence que les défis liés à la protection de la langue sont les mêmes partout, à quelques nuances près.
Ainsi, les nobles intentions manifestées par les gouvernements au moment de la création des commissariats et bureaux d’ombudsman ne se traduisent pas toujours par des actions concrètes. L’hôte de la conférence, le commissaire aux langues officielles du Canada Graham Fraser, l’illustre dès l’ouverture des débats lorsqu’il rappelle que ces institutions doivent souvent faire preuve d’une grande diplomatie, ou comme le dira plus tard le professeur Colin Williams de l’université de Cardiff, les commissaires et les ombudsmans doivent être des experts en « massage d’égo ».
La collaboration plutôt que la confrontation
Le commissaire Boileau rapporte lui-même dans le tout premier panel que certaines pratiques sont à éviter, car elles peuvent « irriter » l’appareil gouvernemental. Il rappelle que pour atteindre des résultats probants, le commissaire n’a d’autre choix que travailler de pair avec le gouvernement. Ainsi, il insiste sur la patience dont doit faire preuve le commissaire ou ombudsman linguistique. Tout comme François Boileau, la commissaire aux langues officielles du Nouveau-Brunswick, Katherine d’Entremont, reconnaît les sensibilités liées à la publication des recommandations des commissaires. Mme d’Entremont précise dans son allocution qu’émettre des recommandations à caractère punitif n’a d’autre effet que de stigmatiser les relations avec les gouvernements. Selon le commissaire aux services en français de l’Ontario, il est important dès lors de présenter des recommandations auxquelles est joint un échéancier précis. D’ailleurs, les commissaires s’entendent sur la nécessité de présenter des objectifs clairs afin d’éviter toute forme d’ambigüité. Les représentants des gouvernements partagent eux aussi cet avis. Marc Tremblay, directeur administratif au Centre d’excellence des langues officielles du Conseil du Trésor du canada, rappelle ainsi que la clarté des recommandations prime avant tout et que le commissaire ou ombudsman doit accorder la latitude de l’échéancier au gouvernement afin que ce dernier puisse intervenir en amont. Des propos relayés par la Sous-ministre adjointe à l’Office des affaires francophones de l’Ontario, Kelly Burke, pour qui la coopération et la relation de confiance entre le gouvernement et le bureau du commissaire sont des conditions sine qua non à la protection des droits linguistiques.
La commissaire du gallois, Meri Huws (en anglais), fait écho aux propos de ses homologues, mais rappelle que malgré la nécessité de travailler de concert avec le gouvernement, les commissaires et ombudsmans doivent éviter la complaisance afin de maintenir leur crédibilité aux yeux du public. Dans sa conclusion, le rapporteur de la conférence, Colin Williams, rappellera aux commissaires l’importance de connaître leurs devoirs et d’exercer leurs pouvoirs.
Cette conférence de l’Association internationale des commissaires linguistiques, a aussi été l’occasion de réfléchir sur les conflits liés aux questions linguistiques. Lors de son allocution, Pär Stenbäck (en anglais), ancien ministre de l’Éducation de Finlande, soutient que les langues deviennent très vite un outil de domination qui s’illustre par la volonté du colonisateur ou vainqueur d’un conflit d’imposer sa langue à la minorité. C’est dès lors que l’absence de droits linguistiques peut aussi être prétexte à une intervention militaire. Selon M. Stenback, puisqu’aucun pays au monde n’est unilingue, il devient primordial de créer des structures institutionnelles afin d’éviter l’extinction des minorités et par le fait même garantir la paix sociale.
Un lancement important auquel j’assiste aujourd’hui en matière de justice en français … celui du projet pilote sur les services en français au palais de justice d’Ottawa. Ce moment est attendu depuis l’an dernier déjà. J’en avais d’ailleurs fait une recommandation dans mon dernier rapport annuel « Une institution francophone s’enracine » où je demandais à la Procureure générale de mettre en œuvre un tel projet pilote s’articulant sur les recommandations et les intentions du rapport Accès à la justice en français.
Je ne suis pas le seul par contre à avoir soulevé quelques bémols envers ce projet au cours des derniers mois. À mon soulagement, la Procureure générale de l’Ontario a elle-même déclaré en entrevue à TFO que le déploiement du projet dans d’autres régions de la province est « vivement souhaité ».
De toute évidence, étant du même avis, c’est incidemment un sujet sur lequel que je permets d’effectuer un retour dans mon prochain rapport annuel. Le secteur de la justice demeure une priorité stratégique pour le Commissariat. Mon équipe et moi (autant que les citoyens et les professionnels du milieu) misons beaucoup sur cette initiative qui voit enfin le jour aujourd’hui, car la réalité demeure : nous continuons de recevoir des plaintes sur le manque d’accessibilité à la justice en français en Ontario. Je ne peux que reconfirmer que je garde ce projet pilote sous la loupe et en attendrai impatiemment les retombées initiales.
Les feux sont donc sur le palais de justice d’Ottawa…seul l’avenir nous dira si les utilisateurs du système de justice de la capitale recevront bel et bien leurs services en français d’entrée de jeu, sans avoir à rappeler leur droit à de tels services dans leur langue.
À vous de jouer également…faites-nous part de vos expériences avec ce projet pilote. Je veux entendre parler de vous.