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François Boileau
Commissaire aux services en français
Aujourd’hui, je dissèque une autre conclusion du Comité, soit que les justiciables francophones ne sont pas nécessairement informés de leur droit au service en français assez tôt. Il s’ensuit qu’entamer des procédures en français peut s’avérer plus difficile, plus long et plus coûteux.
Aussi sérieuse soit-elle, cette conclusion n’a rien d’étonnant, puisque nombre de plaintes que reçoit le Commissariat en matière d’accès à la justice ont pour origine l’absence, dans les tribunaux de la province, d’une offre de renseignements opportuns en temps opportun sur les services en français.
Examinons le parcours judiciaire fictif, mais inspiré de cas réels, d’une citoyenne francophone en Ontario, articulés sur les catégories de difficultés dégagées par le Comité : les difficultés procédurales, les délais supplémentaires et les coûts additionnels associés à l’obtention d’une instance en français ou bilingue.
a) Difficultés procédurales
Madame Franc se présente au comptoir du tribunal de la famille de sa localité. Comme 60 % des citoyens qui font affaire avec ce tribunal, elle se représente elle-même et ne peut donc pas compter sur l’appui d’un avocat, qui – selon le Code de déontologie du Barreau du Haut-Canada – devrait l’informer de son droit à une instance en français. Madame Franc habitant une région qui n’est pas désignée en vertu de la Loi sur les services en français, le personnel au comptoir ne parle qu’anglais et, tout à fait innocemment, ne l’informe pas de son droit d’être entendue par un juge qui parle français, et ce, n’importe où en Ontario, conformément à la Loi sur les tribunaux judiciaires. L’employé au comptoir lui remet spontanément des formulaires unilingues anglais requis pour que sa cause soit entendue par le tribunal. Madame Franc remplit les formulaires – avec difficulté, puisque la terminologie juridique dans sa langue seconde lui donne du fil à retordre – et les dépose.
b) Délais supplémentaires
Madame Franc reçoit un avis de convocation – unilingue anglais – à une conférence préparatoire au procès. Elle se présente devant la juge à la date précisée. La magistrate remarque dès les premiers échanges que Madame Franc, bien qu’elle se débrouille en anglais, a de la difficulté à s’exprimer de façon naturelle dans cette langue. La juge, sachant que des réponses nuancées et détaillées à ses questions sont essentielles à un bon déroulement de l’instance, informe Madame Franc de son droit de se faire entendre en français. Soulagée, Madame Franc accepte d’ajourner la conférence préparatoire, sans toutefois savoir qu’elle devra attendre bien plus longtemps qu’un citoyen ayant choisi de procéder en anglais puisque les dates auxquelles des officiers de la justice bilingues viennent dans sa localité sont très espacées. Madame Franc remplit de nouveau les formulaires, maintenant en français, et prend son mal en patience…
c) Coûts additionnels
Plusieurs mois plus tard, Madame Franc est enfin convoquée à une nouvelle conférence préparatoire, devant une juge qui parle et comprend le français. Avant la conférence, le juge remarque que les renseignements fournis par Madame Franc sont incomplets et que plusieurs pièces essentielles manquent au dossier. On retrace le problème : parce que madame Franc a rempli et déposé les formulaires en français dans une région non désignée, aucun employé du greffe n’était en mesure d’en évaluer le contenu et l’exhaustivité. Sa cause ne peut se poursuivre tant que les renseignements et documents requis soient fournis. La conférence est donc ajournée de nouveau.
Ces ratés répétés entraînent des coûts considérables non seulement pour le système judiciaire, mais aussi pour Madame Franc, qui a dû et devra prendre plus de congés et passer davantage de temps au tribunal qu’un citoyen qui aurait décidé de procéder en anglais.
Le scénario ci-dessus est inventé, mais il n’est pas pour autant fantaisiste. Le fait est que les embardées procédurales, les atermoiements et les débours supplémentaires sont le triste apanage de la procédure bilingue ou de langue française devant les tribunaux en Ontario.
J’ai toutefois confiance que les choses changeront, grâce aux sages et importantes recommandations du Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français, qui appuient notamment la révision des formulaires et des procédures de manière à ce que les clients du système judiciaire soient informés de leurs droits linguistiques à la première occasion; la sensibilisation au droit aux instances bilingues par voie d’avis, de documents et d’affiches; et la facilitation de la diffusion de renseignements à cet égard dans les régions non désignées, par exemple à l’aide d’un service téléphonique sans frais.
Je ne cesse de l’affirmer : il est impératif que les francophones bénéficient d’un accès réel et efficace à la justice en français en Ontario. Vous pouvez compter sur moi pour continuer de suivre ce dossier de près en collaboration avec le ministère du Procureur général.
Comme je l’indique dans mon rapport annuel 2011-2012, lorsqu’un organisme désigné fusionne avec un autre organisme qui s’avère non désigné, les services et programmes qui ont fait l’objet de la désignation ne doivent subir aucun changement quant à la prestation des services en français.
Le ministère de tutelle doit soumettre à l’Office des affaires francophones une demande de modification du règlement afin de mieux refléter le nom du nouvel organisme fusionné et mettre à jour le répertoire des services fournis, le cas échéant. Ainsi, à mes yeux, aucune fusion entre un organisme désigné et une institution non désignée ne devrait être envisagée sans que le nouvel établissement né de ce mariage ne conserve tous les services et programmes désignés au préalable.
Dans le cas de l’Hôpital communautaire de Cornwall, né d’une fusion entre deux établissements de santé, dont celui de l’Hôpital Hôtel-Dieu, c’est précisément ce qui est arrivé. Et étant donné que l’Hôpital Hôtel-Dieu était désigné sous la Loi sur les services en français, le nouveau centre hospitalier n’avait d’autre choix que de demander la désignation sous la Loi à son tour. D’avoir fait autrement aurait été désastreux pour la communauté francophone et surtout, illégal en vertu de la Loi et inconstitutionnel en vertu des principes non écrits de la Constitution canadienne, comme l’a démontré l’affaire de l’Hôpital Montfort.
Au retour des Fêtes, je suis convaincu que vous apprécierez lire les commentaires que le Commissariat a recueillis de la part de plusieurs organismes qui ont choisi de demander la désignation et qui l’ont par la suite obtenue. Au-delà des avantages et des critères, il est intéressant d’entendre la communauté francophone s’exprimer sur les motifs qui l’ont amenée à faire ce choix.
La semaine dernière, je me suis penché sur le premier mandat du Comité consultatif, qui a donné lieu à trois recommandations à l’appui de l’amélioration des connaissances de la magistrature en matière de droits linguistiques au sein du système judiciaire.
Le présent billet et ceux qui suivront porteront sur les recommandations découlant du second mandat du Comité consultatif, à savoir « proposer des pistes d’actions concrètes et concertées pour pallier le manque de juges bilingues en Ontario ».
Avant de s’attaquer de plein front à ce mandat, le Comité a voulu confirmer la véracité de l’hypothèse selon laquelle sévissait une pénurie de juges bilingues en Ontario. Or, en l’absence de statistiques concluantes, le Comité a cru bon de prendre du recul et de réfléchir sur le corollaire de l’hypothèse – lui, dûment documenté – à savoir qu’il règne, chez les citoyens francophones, une perception selon laquelle le nombre de juges bilingues en Ontario est insuffisant. Son constat? Cette perception s’explique par le fait qu’il existe bel et bien des facteurs qui réduisent l’accès à la justice en français et qui font en sorte que l’instruction d’instances en français ou bilingues en Ontario implique souvent davantage de coûts ou de délais que l’instruction d’instance en anglais.
Le Comité a porté son attention sur les divers facteurs limitant l’accès à la justice en français, en a dégagé sept conclusions, et a formulé des recommandations pour chacune de celles-ci en vue de remédier à la situation.
Sa première conclusion est que les droits linguistiques des francophones ne sont pas clairs et cohérents et ne garantissent pas que tous les points de contact soient en français dans le cadre d’une instance. En effet, la complexité de la législation qui accorde l’accès à la justice en français, soit la Loi sur les services en français, la Loi sur les tribunaux judicaires et le Code criminel, est souvent problématique pour les justiciables francophones.
Témoin, un citoyen a récemment communiqué avec le Commissariat pour l’aviser du fait qu’il avait tenté d’invoquer une disposition du règlement Instances bilingues pris en application de la Loi sur les tribunaux judiciaires lui permettant de poursuivre en français une instance entamée en anglais. Or, en l’absence d’outils clairs et d’employés aptes à l’orienter, il lui a fallu ni plus ni moins décortiquer le règlement lui-même et faire de son mieux pour s’y retrouver.
Malheureusement, ses efforts ont avorté et le voilà placé devant une alternative bien peu attrayante : alourdir son parcours judiciaire en déposant une motion pour exercer son droit de se faire entendre en français ou choisir la solution facile en renonçant à ce droit. Ses enfants étant en cause, le plaignant ne saurait être blâmé s’il décidait de courber l’échine, même si ce n’est évidemment pas ce que souhaite le Commissariat.
Difficile de trouver un meilleur justificatif à une recommandation phare du Comité consultatif voulant que le ministère du Procureur général élabore une stratégie visant à aider les usagers des tribunaux à s’orienter dans le système judicaire bilingue de l’Ontario à partir du premier point de contact et à tout moment ultérieur le long du processus.
Je le répète : les mesures qu’il faut prendre pour s’assurer que les francophones bénéficient d’un accès réel et efficace à la justice en français en Ontario me tiennent à cœur et vous pouvez compter sur moi pour continuer de suivre ce dossier de près en collaboration avec le ministère du Procureur général.
J’analyserai la semaine prochaine une autre conclusion du rapport déterminant Accès à la justice en français. Restez à l’écoute!
Comme je l’explique dans mon rapport annuel 2011-2012, les organismes désignés sont tenus d’offrir des services en français de qualité au même titre que les ministères et organismes gouvernementaux, et doivent disposer de politiques et de procédures visant à gérer les plaintes en ce qui concerne la prestation de ces services.
À titre d’exemple, en vertu des ententes de responsabilisation en matière de service conclues avec les réseaux locaux d’intégration des services de santé, communément appelés RLISS, les organismes désignés dans le secteur de la santé doivent présenter aux RLISS un rapport sur leurs services en français afin d’évaluer les progrès dans la mise en œuvre des services en français et en identifier les possibles lacunes. Idéalement, ce document devrait être partagé avec les nouvelles entités de planification des services de santé en français et mis à la disposition du public.
J’appuie cette approche de responsabilisation des organismes désignés et recommande aux citoyens d’adresser leurs plaintes directement à ces derniers. Cependant, les plaintes peuvent aussi être acheminées au Commissariat, qui pourra poser des questions d’ordre systémique à l’institution visée. En effet, une fois désigné, l’organisme tombe sous la compétence du commissaire, qui peut enquêter en cas de manquement à la Loi sur les services en français en ce qui a trait à la disponibilité et à l’accessibilité de services en français.
Mais selon le processus actuel, ces fournisseurs de services ne font l’objet d’aucun suivi ni d’évaluation continue de la part du gouvernement. Vous comprenez que certains organismes ont pourtant été désignés il y a bien longtemps. Prenons, par exemple, un organisme désigné il y a 20 ans. Les membres de son personnel actuel sont-ils seulement conscients qu’au-delà du Commissariat, les clients peuvent se plaindre auprès de l’organisme directement, s’ils le désirent, en cas de manquement perçu en matière de prestation de services en français ? Sont-ils toujours disposés à recevoir et administrer ces plaintes ? Certains oui et d’autres non…
La semaine prochaine, je traiterai de tout ce qui concerne la fusion d’un organisme désigné avec un autre qui s’avère non désigné. Que se passe-t-il lorsque cela survient et quelles sont les obligations issues de la Loi sur les services en français ? Ne manquez pas ce billet !
Comme je l’ai indiqué précédemment, la question de l’accès à la justice en français est si importante pour les citoyennes et citoyens francophones et francophiles de l’Ontario que j’estime primordial que tous et chacun comprennent la signification et la portée des recommandations du rapport Accès à la justice en français du Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français. Voilà pourquoi je me suis engagé à examiner une à une les recommandations de cet important rapport dans un billet hebdomadaire.
Le Comité consultatif de la magistrature et du barreau avait deux mandats dont le premier consistait à améliorer les connaissances de la magistrature en matière de droits linguistiques au sein du système judiciaire (je reviendrai au second mandat dans un prochain billet). En effet, les membres de la magistrature (c’est-à-dire les personnes appelées à rendre la justice, soit les juges et les juges de paix par exemple) jouent un rôle crucial dans la capacité d’une partie d’exercer son droit à la justice en français.
Le commissaire est bien placé pour le savoir puisqu’il reçoit parfois des plaintes de citoyens qui affirment avoir vu leur parcours judiciaire en français entravé par des décisions de la part de magistrats qui relèveraient occasionnellement ― je marche sur des œufs ici ― de désinformations en matière de droits linguistiques.
Or, de telles plaintes sont extrêmement difficiles à régler puisque le Commissariat, qui relève de l’État, œuvre dans la sphère de l’« exécutif », alors que la magistrature œuvre dans la sphère du « judiciaire ». Ces deux sphères sont – et doivent demeurer – indépendantes pour que la justice soit exercée à l’abri de toute intervention injustifiée ou ingérence.
C’est donc dire qu’une fois qu’une décision a été prise par un magistrat relativement à une cause dont il est saisi, y compris la langue dans laquelle se déroulera l’instance, la révision de cette décision doit passer par la procédure judicaire (par voie d’appel par exemple) et le Commissariat a peu de pouvoir sur ce plan, en dépit de la bonne volonté des participants de système judiciaire. La justice doit suivre son cours!
Bien qu’il ne me fût jamais venu à l’esprit, en ma qualité de commissaire, de remettre en question la sagesse de ceux et celles qui ont la difficile et noble tâche de rendre la justice en Ontario, le fait est que personne n’est infaillible. Le Comité consultatif le reconnaît lorsqu’il dit qu’à l’heure actuelle, il se peut que la magistrature ne soit pas suffisamment informée des droits linguistiques des francophones, et qu’il est essentiel, pour que l’Ontario puisse offrir des services de qualité en français, que tous les juges et juges de paix, partout dans la province, bilingues ou non, comprennent pleinement ces droits.
C’est dans cet ordre d’idées que le Comité consultatif formule trois recommandations : a) les droits linguistiques doivent faire partie intégrante de la formation des magistrats; b) des ressources sur les droits linguistiques doivent être mises à la disposition des magistrats; c) les magistrats nouvellement nommés devraient être guidés par des mentors bilingues chevronnés.
Je ne saurais trop souscrire à ces recommandations car, comme le dit si bien le Comité, si la magistrature ne comprend pas pleinement les droits linguistiques, « il y a peu d’espoir que le système judiciaire offre un accès égal à la justice en français ».
Je le répète : les mesures qu’il faut prendre pour s’assurer que les francophones bénéficient d’un accès réel et efficace à la justice en français en Ontario me tiennent à cœur et vous pouvez compter sur moi pour continuer de suivre ce dossier de près en collaboration avec le ministère du Procureur général.