S’activer pour l’élimination de la violence faite aux femmes

6 décembre 1989. Une date qui malheureusement a passé à l’histoire. Notre histoire. Y compris la mienne. Peine à croire qu’il y a maintenant 25 ans, j’étais alors étudiant en droit à l’Université d’Ottawa, la veille d’un examen de droit international public (évidemment, je ne me souviens pas de la date ni de la matière d’aucun autre de mes examens). Ce n’est qu’en écoutant les nouvelles à Radio-Canada le lendemain matin que je me suis aperçu de l’horreur. Je dois vous dire que les quatre années précédentes, j’étais étudiant à l’Université de Montréal et surtout, résident permanent aux Résidences de cette université. Ainsi, j’allais très régulièrement souper à la cafétéria de Polytechnique puisque la nourriture y était étonnamment bonne, diversifiée et surtout, pas cher. Aussi, au fil du temps, je m’y suis fait de belles connaissances auprès des étudiants réguliers de la Poly. De savoir qu’une tuerie de la sorte puisse se produire dépassait l’entendement. Mais de savoir que c’était à Montréal, dans un endroit si connu pour moi, j’étais absolument renversé. Mais ce n’est rien à côté du choc de savoir que, peu importe l’épellation donnée au meurtrier, il n’empêche qu’il a lâchement assassiné des femmes, des jeunes femmes étudiant une profession largement dominée par des hommes.

Inutile de vous dire que les pleurs et les colères s’entremêlaient dans les corridors jouxtant la salle d’examen. Nous nous demandions si nous ne devions pas demander un ajournement de cet examen auquel plus personne n’avait évidemment la tête. Tout ce qu’il semblait nous importer, était de consoler nos consœurs et de tenter de les rassurer du mieux possible.

Bien des choses ont changé suite à cet événement si bouleversant. D’abord, l’épisode démontrait cruellement que l’égalité des sexes si recherchée n’était évidemment pas atteinte. Car ce type a ciblé des femmes. Des femmes seulement. Il a fait de toute une société ses victimes. Mais le fait demeure qu’il a ciblé volontairement et sciemment des femmes. Pour un jeune homme qui a grandi dans un environnement où je croyais, à tort, que la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes était relativement en bonne voie, disons simplement que la douche froide était plutôt glacée. Je crois que c’est à partir de ce moment que j’ai découvert que je me devais de non seulement être sympathique aux aspirations plus que légitimes de plus de la moitié de la population de la planète, mais que je me devais de faire en sorte que mes actions soient conséquentes avec le fait que j’étais devenu féministe. De fait, j’ai encore peine à croire que des gens refuseraient de se voir comme des féministes, surtout en 2014, ici, au Canada.

Il y a quelque temps, j’ai fait la rencontre d’une mère de famille d’une petite fille qui est maintenant la grande amie de notre fille à l’école. Cette femme est ingénieure civile de profession. Je ne peux m’empêcher, considérant son âge, vers la fin trentaine, qu’elle doit faire partie de ces cohortes de jeunes femmes qui se sont investies en génie dans les années suivant la tragédie. Et cela me fait du bien de penser cela.

Tout récemment, j’ai eu le privilège de prononcer le discours d’ouverture des États généraux 2014, organisés par Action ontarienne contre la violence faite aux femmes (AOcVF) sous le thème de « État des lieux sur les agressions à caractère sexuel, la violence conjugale et le développement des services en français en Ontario ». Les objectifs de cette rencontre étaient de favoriser la concertation, préparer la relève, faire connaître aux ministères les besoins du secteur et les recommandations de la communauté franco-ontarienne  ainsi que de planifier le travail pour les années à venir. Reconnaissons que leur sens du « timing », même si cet événement requiert une préparation hors du commun, est assez extraordinaire, en marge de la conversation nationale qui a récemment redémarré à vitesse grande V.

On dit souvent que les meilleures plaidoiries sont celles que l’on fait après et il en va de même de certaines conférences où, une fois assis, en écoutant les autres, on se dit que l’on a raté une belle occasion. Je crois que mon allocution était trop centrée sur mon travail quotidien, oubliant de mettre l’emphase sur la chance inouïe des participantes (et quelques participants) de pouvoir émettre des suggestions concrètes et pratiques afin de guider les orientations des gouvernements et des organisations citoyennes pour les dix prochaines années afin de contraindre davantage ces fléaux que sont les agressions à caractère sexuel et la violence faite aux femmes.

Car ces maux existent encore et ils sont bel et bien présents. Les organisatrices ont mandaté les chercheuses Marie-Luce Garceau et Ghislaine Sirois de produire le document Éliminer la violence faite aux femmes en Ontario français : une tâche ardue. Cette superbe étude pour quiconque s’intéresse un tant soit peu à la question revient en première partie sur les États généraux de 2004. En deuxième partie, l’étude dresse un portrait exhaustif des domaines d’intervention, de l’amélioration des services en français et de leur évolution, et ce, dans toutes les régions ainsi que met la table sur les moyens mis en place pour améliorer la qualité de ces services. En troisième partie, on explique clairement, avec statistiques à l’appui les agressions à caractère sexuel et leurs barrières, toute la question de la violence conjugale et ses barrières ainsi qu’une panoplie d’enjeux communs. Enfin, on suggère un exercice de réflexion ainsi que des pistes de solutions.

Nous sommes en pleine période des 16 jours d’activisme contre la violence faite aux femmes qui s’étend du 25 novembre, Journée internationale de la lutte contre la violence faite aux femmes au 16 décembre, Journée internationale des droits de la personne. Pour citer la présidente de AOcVF, Mme Julie Béchard : « Il faut réfléchir aux gestes que l’on peut poser individuellement et collectivement pour éliminer la violence faite aux femmes. »

Aujourd’hui, je suis père d’une petite fille. Naturellement, comme tous les parents du monde, je lui souhaite du bonheur, de la santé et surtout, de pouvoir être libre de ses choix. De tous ses choix. De pouvoir choisir comment elle fera à son tour une différence auprès des gens qu’elle aime, de sa communauté, de sa région et de son pays. Mais pour être libre de faire ses choix, en toute sécurité, encore faut-il qu’elle soit à pied d’égalité avec la gente masculine au sein de notre société.

Je comprends aujourd’hui que je dois en faire beaucoup plus que de simplement me dire féministe. Les actions doivent suivre, au quotidien et collectivement comme l’a indiqué la présidente Béchard. Je me dois d’être un féministe engagé, comme homme, comme père et comme individu vivant en société.

Je tiens à féliciter toutes ces femmes qui œuvrent quotidiennement, souvent avec très peu de ressources mais qui trouvent pourtant une façon de venir en aide à toutes ces femmes victimes de violence conjugale et d’agressions à caractère sexuel. Merci de faire une différence si capitale dans la vie de toutes ces femmes et de leurs enfants. Dans un autre ordre d’idée, je sais que tous les pères de petite fille pensent, du  moins je le souhaite, comme moi présentement. Voilà pourquoi j’invite aussi tous les pères de petits garçons à se demander comment ils peuvent s’assurer de sensibiliser assez leurs enfants à l’importance que l’on se doit d’apporter aux enjeux relatifs à l’égalité entre les femmes et les hommes. Peut-être qu’un jour, ensemble, on arrivera à endiguer toute cette violence conjugale et ces agressions à caractère sexuel.

Commentaire

  1. Lise

    WOW!
    Merci pour cet partage humain et éloquent!

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