Compétences linguistiques et répartition des officiers de la justice bilingues en Ontario
Je poursuis aujourd’hui ma série de billets visant à synthétiser les principales conclusions de l’important rapport Accès à la justice en français, signé par le Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français.
Je souhaite m’attarder ici à la conclusion du Comité consultatif selon laquelle « les aptitudes linguistiques, le nombre et le placement des juges et juges de paix bilingues ne sont pas nécessairement déterminés en fonction du besoin d’assurer un accès égal à la justice pour les francophones ».
Au risque d’en étonner plusieurs, j’ai été satisfait d’entendre une telle conclusion.
Pourquoi? Parce qu’il s’agit d’une confirmation de l’existence d’un problème fondamental dans un secteur où il m’est difficile, en ma qualité de commissaire aux services en français, d’exercer une influence directe.
En effet, compte tenu de son indépendance, la magistrature a droit de regard sur sa régie, et ce n’est que si elle reconnaît de son propre chef qu’il existe un problème que celui-ci pourra être réglé. Le Comité consultatif présente, dans son rapport (plus précisément à la section 4.3.4), une analyse lucide de la question, qui ne manquera de faire réagir.
De fait, le Comité consultatif amorce son analyse par le b.a.-ba, à savoir la définition même de ce qui constitue un juge ou un juge de paix bilingue. S’agit-il d’officiers de la justice qui sont en mesure d’entendre toutes les affaires en français? Ou d’officiers qui peuvent entendre certaines affaires en français? Ou encore d’officiers qui ne peuvent se prononcer sur une affaire que par écrit?
J’ai été heureux de voir ma position confortée : « Les aptitudes linguistiques en français d’un officier de justice doivent être égales aux aptitudes linguistiques qui sont requises lorsque les instances sont instruites en anglais [sans quoi] il se peut que l’intérêt de la justice ne soit pas servi. »
Le Comité consultatif poursuit sa réflexion en insistant sur la nécessité de déterminer le nombre et le placement des officiers de la justice bilingues en fonction du besoin d’assurer un accès égal à la justice plutôt que, par exemple, sur des statistiques liées à la taille de la population ou à la demande actuelle de services en français. En effet, de telles statistiques seraient nécessairement biaisées, puisqu’il arrive souvent que les francophones n’exercent pas leur droit aux services en français en raison des difficultés auxquelles ils sont confrontés dans cette démarche.
J’estime que le Comité consultatif a véritablement saisi l’importance pour les justiciables francophones de sentir et de savoir qu’ils seront entendus et compris dans leur langue devant les tribunaux, et ce, sans délais ni frais supplémentaires, surtout lorsque je lis des recommandations éclairées qui proposent, d’une part, de normaliser l’évaluation des aptitudes linguistiques des officiers de la justice en Ontario dans le cadre des activités de recrutement, et, d’autre part, d’évaluer le besoin d’officiers de la justice bilingues en fonction de l’objectif de promouvoir l’accès à la justice en français et d’élaborer des protocoles de dotation dans cette optique.
Je ne saurais clore ce billet sans mentionner que j’insiste depuis longtemps sur une planification judicieuse des ressources humaines pour les postes désignés au sein de la fonction publique. Certes, la magistrature est une entité distincte; mais je ne peux m’empêcher de penser que les principes que j’expose dans la section 2.2.1 de mon rapport annuel de 2008-2009 – rapport contenant une recommandation qui a d’ailleurs abouti à la rédaction du rapport Accès à la justice en français – trouvent une indéniable résonnance dans les propos du Comité consultatif de la magistrature et du barreau sur les services en français. À vous de… juger.
Je serai de retour sous peu avec un autre condensé d’une problématique étudiée dans le rapport Accès à la justice en français et des conclusions et recommandations afférentes.