Étude sur les radios communautaires francophones de l’Ontario

Cette étude fait état, entre autres, du manque d’appui gouvernemental dans le domaine des radios communautaires francophones de l’Ontario depuis 1995.

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Étude sur les radios communautaires francophones de l’Ontario : Éléments clés de la vitalité des communautés

Table des matières

1. Introduction

2. Contexte

3. Le MICRO

4. Paysage radiophonique communautaire en Ontario

4.1. Les radios communautaires francophones

4.2. Objectifs des radios communautaires

4.3. Promouvoir la culture locale

4.4. Actualités locales

5. Impacts sociaux

5.1. Outil d’identification

5.2. Engagement communautaire

5.3. Hausse d’écoute de la radio en français

6. Impacts et retombées économiques

7. Principaux défis

7.1. Situation financière précaire

7.2. Abolition du Programme de radio communautaire de l’Ontario (PRCO)

8. Pistes de solutions

8.1. Une politique et un financement stable

8.2. Politique d’aménagement linguistique

8.3. L’accent sur la jeunesse

Conclusion

ANNEXE A

Rôle des principales institutions fédérales

CRTC

Patrimoine canadien

Société Radio-Canada

1. Introduction

Pour qu’une communauté se sente à la fois protégée, reconnue et valorisée, elle doit pouvoir compter sur la présence d’organismes biens structurés, des acquis juridiques et institutionnels solides ainsi qu’un système judiciaire et éducatif qui répondent à ses besoins.

En Ontario, la Loi sur les services en français (LSF), loi quasi constitutionnelle adoptée à l’unanimité en 1986, donne aux Franco-Ontariens le droit d’être servis dans leur langue pour obtenir des services gouvernementaux. Le préambule de la loi stipule que : « l’Assemblée législative reconnaît l’apport du patrimoine culturel de la population francophone et désire le sauvegarder pour les générations à venir. »

S’appuyant sur cet énoncé, le gouvernement de l’Ontario s’est montré précurseur dans certaines de ses orientations et réalisations depuis ces dernières années envers la communauté francophone. Ses actions comprennent le lancement de la Politique d’aménagement linguistique (une première du genre au pays), l’adoption d’une nouvelle définition plus inclusive de la population francophone (autre première), et l’indépendance et l’autonomie budgétaires accordées à la télévision éducative et culturelle française de l’Ontario, TFO.

Cependant, il existe un domaine où l’implication du gouvernement provincial brille par son absence. Il s’agit des radios communautaires francophones. Pourtant, ces radios ne datent pas d’hier. Dans le cas de Hearst, sa radio communautaire de langue française existait avant même l’entrée en vigueur de la LSF. En 2008, elle fêtait ses 20 ans, et cet événement marquant n’est pas passé inaperçu à l’Assemblée législative de l’Ontario :

« On a eu l’opportunité cette fin de semaine de célébrer 20 ans de succès de la radio CINN-FM à Hearst, une radio communautaire qui fait partie de la communauté depuis 20 ans. Il est très important d’avoir une telle organisation dans notre communauté à Hearst et dans les environs […] Mais plus important, c’est une radio communautaire, et c’est ça la clé. Ça donne la chance à la communauté de se voir à travers la radio et de s’assembler à travers la radio pour parler. Ce qui est important pour la communauté, c’est de laisser savoir aux gens de la région de Hearst ce qui se passe, quels événements vont y avoir lieu, et d’avoir une manière de rassembler les francophones de notre région1. »

Pour bon nombre de communautés situées en dehors des grands centres urbains, les radios communautaires sont plus qu’un diffuseur annonçant les prévisions étéorologiques locales. Elles sont au cœur même des communautés qu’elles desservent et permettent d’unir les gens des villages éloignés. « Autrefois, on se retrouvait sur le parvis de l’église pour discuter de tout et de rien, et maintenant la radio procure à nos communautés une agora leur permettant de se narrer, de se retrouver et [de] discuter des dossiers qui les animent et les émeuvent2. »

Dans les grands centres urbains, les radios communautaires francophones peuvent avoir différentes programmations, mais cela n’enlève rien à leur raison d’être. À Toronto, par exemple, la station CHOQ-FM met en ondes une variété d’émissions originales qui répondent aux attentes de la communauté francophone hétérogène de cette grande métropole. En effet, cette station diffuse de la musique hip-hop francophone, consacre régulièrement une plage de temps aux jeunes francophones d’ascendance africaine et offre plusieurs programmes d’analyse politique de haut calibre qui font le point sur les événements et enjeux locaux, nationaux et internationaux.

2. Contexte

Cette étude sur les radios communautaires francophones a été entreprise après avoir reçu une communication du Mouvement des Intervenants et des Intervenantes en Communication Radio de l’Ontario (MICRO) dans laquelle l’organisme soulevait un certain nombre d’inquiétudes. Le MICRO soulignait, en particulier, l’absence de soutien financier de la part du gouvernement provincial — un manquement qui, selon l’organisme, représente un obstacle au développement des radios communautaires de langue française en Ontario. Pour faire suite à cette missive, le Commissariat a analysé les fondements de ce dossier et propose des pistes de solutions.

3. Le MICRO

Créé au début des années 90, le MICRO se veut la voix commune et le porteparole des radios communautaires francophones de la province auprès des gouvernements, des partenaires communautaires et des entreprises. Il représente également ses membres auprès des publicitaires et agences de publicités nationales afin de leur obtenir leur part de ce genre de revenus. L’organisme regroupe six membres réguliers, mais ce nombre est appelé à croître. En effet, le MICRO s’est donné comme objectif d’appuyer la création de plusieurs nouvelles radios communautaires de langue française en Ontario d’ici 2014.

4. Paysage radiophonique communautaire en Ontario

4.1. Les radios communautaires francophones

L’Ontario compte six radios communautaires de langue française. Celles-ci sont situées à Hearst (CINN 91,1 FM), à Kapuskasing (CKGN 89,7 et 94,7 FM), à Penetanguishene (CFRH 88,1 FM), à Toronto (CHOQ 105,1 FM), à Cornwall (CHOD 92,1 FM) et à Ottawa (CJFO 94,5 FM). Toutes membres du MICRO, ces stations ont le potentiel d’atteindre plus de 330 000 auditeurs francophones quotidiennement (ce chiffre a presque doublé avec l’entrée en ondes de CJFO en novembre 2010, car auparavant le rayonnement des radios communautaires francophones s’adressait à un auditoire potentiel de 150 000 personnes3).

Enfin, il y a d’autres projets de radios communautaires francophones en gestation, notamment dans les régions de Niagara-Hamilton, Oshawa, Welland et Windsor.

4.2. Objectifs des radios communautaires

La mondialisation de l’information permet aujourd’hui d’accéder à l’actualité locale, régionale, nationale et internationale en un clic sur son clavier ou en allumant sa télévision. Dans un tel contexte, il serait légitime de se questionner sur la place des radios communautaires et leurs objectifs. Ni publique ni privée, la radio communautaire est un média de proximité et constitue une sorte de troisième voie pour tous ceux qui souhaitent avoir une information alternative et complémentaire aux réseaux traditionnels.

Bien que les radios communautaires aient chacune leur propre vision, elles partagent, en général, des objectifs communs à savoir : divertir, fournir des informations locales, donner la parole à son auditoire et sensibiliser — voire éduquer — ses auditeurs sur divers enjeux régionaux et nationaux. Elles donnent également la parole aux organismes communautaires de leurs régions qui sont, habituellement, peu visibles dans les médias traditionnels, et elles opèrent grâce à l’appui de nombreux bénévoles.

« Les radios communautaires francophones en milieu minoritaire sont plus qu’une simple radio de divertissement, mais bien un outil de développement au service des communautés. La radiophonie communautaire canadienne répond à des besoins d’information locale, de promotion de la culture et de l’identité locale et, dans notre cas, de protection et de promotion d’une langue officielle minoritaire4. »

Toutefois, le cas de chaque radio communautaire francophone en Ontario est unique à plusieurs égards. Alors que certaines opèrent dans des régions où la proportion des francophones est importante, d’autres doivent desservir une communauté dispersée géographiquement avec un poids démographique faible. De plus, il est important de noter que la radio communautaire permet également de joindre et d’informer un bon nombre de francophones qui éprouvent des difficultés en alphabétisation5, d’où la nécessité de moduler leurs programmes pour qu’ils répondent aux besoins et attentes de ces communautés de plus en plus diversifiées dans certaines localités.

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) définit une station de radio communautaire par sa propriété, sa programmation et le marché qu’elle est appelée à desservir. Une telle station demeure la propriété d’un organisme sans but lucratif dont la structure permet aux membres de la collectivité d’y adhérer et de participer à sa gestion et à sa programmation. Ces radios doivent également refléter la diversité des auditoires qu’elles desservent.

4.3. Promouvoir la culture locale

La Politique relative à la radio communautaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) stipule ceci : « Une station communautaire doit, avant tout, permettre l’accès de la collectivité aux ondes et offrir une programmation diversifiée qui reflète les besoins et les intérêts de la collectivité que la station est autorisée à desservir, y compris la musique des talents nouveaux et locaux; la musique qui n’est généralement pas diffusée par les stations commerciales; les émissions de créations orales6 […]. »

Ce mandat est pris très au sérieux par les radios communautaires francophones de la province. Ces radios appuient les talents d’artistes locaux — dont ceux de la relève — en leur assurant une promotion et une couverture qui leur donnent une certaine notoriété.

« Il est faux de prétendre que la simple disponibilité de radios francophones dans la région d’Ottawa-Gatineau sert la communauté franco-ontarienne. La communauté francoontarienne, comme les autres communautés linguistiques en situation de minorité, doit pouvoir se reconnaitre dans ses médias. La radio est un véhicule important pour la promotion de la culture, des idées et des institutions minoritaires, pour permettre à la communauté de s’épanouir7. »

4.4. Actualités locales

Lorsqu’il est question d’actualités locales, les radios communautaires ont le net avantage d’être très près de leurs auditoires et de leurs préoccupations en diffusant des émissions politiques, culturelles et sociales à caractères régionaux. Ces émissions, qui sont conçues sur mesure pour des auditoires distincts, n’ont pas d’équivalents dans les autres radios. En effet, on constate que les radios communautaires occupent un créneau très spécifique.

Selon M. Caroll Jacques, directeur général de l’Alliance de la francophonie de Timmins (bureau de Kirkland Lake), les collectivités locales canadiennes ne peuvent pas compter sur la radio française de Radio-Canada pour combler les lacunes existantes : « […] Quant à la radio, il y a CBON Sudbury en français qui, à cause des coupes récentes et passées, ne visite plus les régions. Encore une fois, on se rend à Sudbury et dans les environs, mais à moins d’une catastrophe, on ne se rend pas à Kirkland Lake. Concernant les postes de radio anglophones, on a CJKL de Kirkland Lake et CJTT de Temiskaming Shores. Du côté québécois, on a Radio VilleMarie, qui nous offre quelques programmes une fois par semaine, mais qui ne dessert pas la région comme telle8. »

Quelques émissions locales une fois par semaine, ou même une heure par jour de programmation9, c’est manifestement insuffisant, parce que le contenu local est de la plus haute importance pour les francophones qui vivent en situation minoritaire. Ceci étant dit, les francophones résidant dans des collectivités dépourvues de programmes locaux pertinents diffusés dans leur langue se tournent presque inévitablement vers d’autres sources d’information. Par exemple, si un auditeur de Toronto se trouve confronté à choisir d’écouter, en fin de journée, des bulletins de nouvelles produits à Montréal ou des bulletins en anglais, produits à Toronto, il opterait possiblement pour la chaîne anglaise. La raison, c’est qu’un bulletin régional produit à Toronto risque d’avoir davantage d’informations pertinentes à sa vie de tous les jours, même si ces informations sont diffusées en anglais. Certains francophones bilingues considéreront peut-être que pareil choix est un compromis acceptable, mais il ne l’est pas pour les francophones unilingues, et il représente un véritable non-sens dans l’optique du développement communautaire.

5. Impacts sociaux

5.1. Outil d’identification

Par définition, une radio communautaire est tournée vers la communauté qu’elle dessert. La radio communautaire francophone crée un espace privilégié pour les auditeurs francophones qui se reconnaissent dans la station qu’ils écoutent. Comme l’a si bien dit l’expert Bart Cammaerts, la nature participative des radios communautaires [traduction] « permet aux collectivités locales de se renvoyer leur propre image10 ».

Pour les francophones, elles sont aussi un outil de construction identitaire, comme a pu le constater Statistique Canada : « Des recherches ont montré que l’usage des médias francophones est fortement relié à l’identité francophone et au désir de faire partie de la communauté francophone […]. Ces résultats ne nous permettent pas de constater l’existence d’une relation causale. Il est possible que l’usage des médias francophones contribue à la construction identitaire francophone, mais il est probable aussi que les personnes ayant déjà une identité francophone forte choisissent davantage des médias francophones que les personnes dont l’identité francophone est plus faible. Nous osons croire que cette relation est plutôt bidirectionnelle, c’est-à-dire que l’usage des médias francophones en situation minoritaire est à la fois une cause et un effet de l’identité francophone11. »

Pour d’autres, comme l’éducatrice Ginette Gratton, la radio communautaire a le pouvoir de rendre visible, l’invisible. Autrement dit, elle permet aux communautés francophones d’exister publiquement : « Si elle est invisible, cette communauté n’existe pas vraiment dans les faits. Elle n’existe que théoriquement, dans le discours des gens. Et graduellement, ses membres s’assimilent à ce qu’ils voient autour d’eux. C’est une réaction naturelle. Le jour vient sournoisement où ils ont oublié qui ils étaient et la communauté s’éteint12. »

La langue et l’identité sont indissociables. Pour que les communautés francophones en Ontario puissent survivre et s’épanouir, il est primordial que leurs membres puissent vivre, grandir et se développer en français en Ontario.

Cela implique non seulement de pouvoir utiliser le français dans les sphères privées (maison), communautaires (écoles, regroupements associatifs) et publiques (services gouvernementaux, affichage, travail, etc.), mais aussi la capacité de percevoir que le français est une langue de communication valorisée par l’État et utile pour le maintien du patrimoine culturel. Ainsi, les communautés francophones doivent pouvoir se lire, s’écouter et se voir en français d’une façon pertinente et utile.

Ce n’est donc pas uniquement le fait d’entendre parler la langue française qui est important pour l’épanouissement des communautés francophones en Ontario, mais c’est aussi — et surtout — la pertinence du message communiqué en français qui influe sur la perception des membres des communautés francophones quant à savoir si le français a encore, aujourd’hui, une raison d’être au quotidien. Comme d’autres l’ont déjà dit, «… être francophone est un choix de tous les jours… » Pour que ce choix soit valorisé par l’individu membre d’une communauté francophone en Ontario, il n’est pas toujours suffisant que l’usage du français soit un choix idéologique — particulièrement dans les régions où la pression assimilatrice est élevée. L’usage du français doit aussi répondre à un besoin utilitaire.

Ce besoin utilitaire peut se traduire par un besoin de se renseigner, par exemple, sur la météo lorsqu’on prépare une activité, sur les conditions routières locales lorsqu’on s’apprête à prendre la route, sur le statut des écoles en temps de tempête hivernale, ou sur les activités communautaires lorsqu’on veut socialiser. Il est primordial pour ces communautés de pouvoir se « reconnaître » pour justifier le choix du français de façon quotidienne. L’information véhiculée en français doit donc être pertinente et répondre au besoin utilitaire des membres de la communauté francophone partout en Ontario.

« […] Ils (les médias locaux et communautaires) contribuent au renforcement identitaire des communautés francophones, que ce soit par la diffusion de produits culturels locaux de langue française, ou de contenus et d’informations qui donnent aux communautés plus qu’un reflet d’elles-mêmes, mais une voix. Au-delà du caractère purement médiatique des radios et des journaux communautaires, il existe aussi un mandat d’agent de développement communautaire. On n’a qu’à penser, par exemple, au soutien qu’apportent les radios communautaires aux campagnes d’alphabétisation, ou à la promotion du tourisme francophone local. […] Les médias communautaires mènent des activités para-médiatiques, telles que des levées de fonds pour divers groupes locaux, qui ont pour objectif de favoriser le développement durable de la communauté13. »

Les radios communautaires francophones sont là pour aider le citoyen francophone à combattre l’isolement et lui dire qu’il n’est pas seul, qu’il appartient à une communauté forte qui a encore un avenir. Certains sociologues14 se réfèrent parfois au concept de la « légitimité » de la langue pour décrire ce phénomène — c’est-à-dire la perception qu’entretient un individu du fait que sa langue bénéficie d’une reconnaissance publique. Cela pourrait s’appliquer lorsqu’un francophone entend parler quelqu’un de sa communauté sur les ondes de la radio communautaire francophone, par exemple. Ainsi, ce n’est pas tant l’utilisation de la langue française qui touchera cet individu, mais plutôt le fait que la communication en français a une pertinence. En d’autres mots, cette communication servira à valoriser à la fois le choix linguistique de l’individu et son désir d’appartenance à la communauté.

Il n’est pas difficile de concevoir comment les membres des communautés francophones de l’Ontario peuvent parfois se tourner vers l’anglais et cesser de faire l’effort quotidien que cela nécessite pour maintenir le lien d’appartenance à la communauté francophone. Lorsque les infrastructures institutionnelles ne sont pas présentes, il n’est pas étonnant que les membres de cette communauté puissent chercher à combler leur besoin utilitaire par des moyens alternatifs.

L’attrait vers la communauté anglophone est souvent très fort lorsque les besoins des francophones ne sont pas comblés à même les réseaux institutionnels existants. Lorsqu’un membre de la communauté francophone perçoit que sa langue est valorisée et utile sur le plan public — par exemple, lorsqu’il entend parler de sa communauté en français à la radio communautaire —, l’individu y voit une reconnaissance individuelle. Mais cette reconnaissance a également un impact plus large, sur l’ensemble de la communauté francophone, si cela contribue à justifier le choix d’appartenance linguistique de cet individu de façon quotidienne. À l’inverse, tout individu victime d’assimilation en raison de la force d’attraction de la langue majoritaire contribue à l’effritement graduel d’une communauté minoritaire déjà fragilisée. Les radios communautaires, pourvu qu’elles soient solides, peuvent essentiellement aider à contrer cet effritement en raison de leur nature participative. En effet, elles peuvent se substituer à ce que la chercheuse Sara Beth Keough appelle, pour reprendre son idée, « la radio commerciale homogénéisée, sans empreinte géographique particulière » par une radio qui forge une relation symbiotique entre une station et son auditoire.15

Enfin, les radios communautaires, vu leur nature participative, ont l’avantage d’être inextricablement liées à l’identité culturelle. Vu qu’elles invitent les membres de la collectivité à parler sur les ondes, elles finissent souvent par communiquer avec leur auditoire dans un langage parfois teinté de régionalismes. C’est particulièrement le cas des radios situées en milieu rural.

Cette façon de faire permet aux auditeurs de s’identifier plus facilement aux personnes à l’antenne, ce qui est souhaitable selon le chercheur émérite Florian Sauvageau :

« Ça ne fait pas très longtemps que les journalistes et les animateurs qui ont un accent régional prononcé sont acceptés sur les ondes […]. Radio-Canada imposait le français international à toutes ses antennes […] je comprends que si la langue d’une radio ne correspond pas à la vôtre, vous avez moins le goût de l’écouter16. »

5.2. Engagement communautaire

Les radios communautaires jouent un rôle important en matière d’engagement des citoyennes et des citoyens. Comme l’a observé Sharmeen Khan, « ce qui distingue ces stations, c’est à quel point elles comptent sur leurs auditrices et auditeurs pour assumer le rôle de communicatrices et communicateurs17. » [traduction] Dans son rapport sur les difficultés auxquelles se heurtent les radios communautaires de nos jours (Community Radio and the frequency of struggle), Madame Khan relate ses entretiens avec plusieurs activistes des radios communautaires, y compris des membres de la National Campus and

Community Radio Association, lesquels sont convaincus que ces radios jouent un rôle crucial dans l’engagement des citoyens.  « Nombreux sont les auditoires – notamment les populations rurales insuffisamment desservies par les médias commerciaux, les communautés linguistiques en situation minoritaire, les jeunes, les communautés culturelles et les nouveaux venus au Canada ou encore les personnes défavorisées sur le plan économique – pour lesquels les radios communautaires sont la principale source de nouvelles locales, d’information et de contenu culturel. Le créneau des radios communautaires est très différent de celui des radios commerciales, et leur façon de l’exploiter aussi18. » [traduction] Pour résister à l’assimilation, il faut absolument interagir avec les membres de sa communauté. Cette interaction est d’une importance particulière pour les jeunes de la communauté francophone au stade crucial de leur développement identitaire. À bien des endroits en Ontario, les jeunes francophones sont à deux doigts d’abandonner une langue qui leur semble d’une moindre utilité dans leurs interactions quotidiennes.

Les radios communautaires de langue française sont dans la position privilégiée de pouvoir radicalement changer la donne, et ce en offrant aux jeunes la possibilité de se plonger dans un monde culturel d’expression française tout en découvrant les métiers relatifs à la radiodiffusion et ainsi faire un suivi direct à la formation collégiale et universitaire obtenue19. Leurs bénévoles et stagiaires y apprennent les bases du journalisme, la mise en ondes, les techniques d’enregistrement et de montage, et même la conception et la réalisation de publicités. Et cela débouche à des résultats forts intéressants : derrière le micro, les jeunes n’hésitent pas à adopter une nouvelle attitude et s’expriment en français alors que dans les cours d’école, à la télévision, dans Internet et sur les baladeurs MP3 l’anglais l’emporte.

À certains endroits, les radios communautaires s’installent dans des écoles secondaires pour donner la parole aux jeunes en leur consacrant des émissions ciblées. Ce fut notamment le cas du projet du gouvernement fédéral « Motiver la relève scolaire ». Ce projet, qui a bénéficié d’un financement de Patrimoine canadien pendant un an, a permis aux élèves de six écoles ontariennes de langue française à faire de la radio avec l’appui des animateurs de leurs radios communautaires locales.

Le commissaire estime que les programmes de cette nature constituent un excellent moyen d’introduire et d’ancrer les jeunes francophones dans leur communauté linguistique et culturelle au sens large, et donc de contribuer à freiner leur assimilation et leur exode des centres ruraux. Ce point sera repris plus en détail un peu plus loin (voir la section 8.3).

5.3. Hausse d’écoute de la radio en français

Le Portrait des minorités de langue officielle au Canada : les francophones de l’Ontario20, publié par Statistique Canada, nous apprend que 84 % des francophones écoutent la radio et 62 % d’entre eux l’écoute uniquement, ou surtout, en anglais. Il existe, toutefois, une disparité entre les régions comme dans le sud-est de l’Ontario où plus d’un tiers des francophones affirme écouter la radio uniquement, ou surtout, en français. Ces chiffres s’expliquent en grande partie par la pénurie de stations de radio locales qui diffusent un contenu pertinent à l’intention des francophones, dans leur langue. Le commissaire est convaincu que s’il existait davantage de stations de radio francophones locales (communautaires ou autres), les francophones accorderaient la préférence à leurs émissions et abandonneraient l’écoute des ondes anglophones. Il tire cette conviction de l’observation des conséquences du lancement d’une station de radio communautaire francophone dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick il y a un peu moins d’une dizaine d’années.

Ce cas est frappant. En effet, cette radio est décrite comme l’une des meilleures réussites en radio communautaire21. L’entrée en ondes de cette station, dans les années 90, a bouleversé le paysage radiophonique dans cette région où les auditeurs écoutaient auparavant davantage les radios anglophones que francophones : « (Les) habitudes d’écoute se sont radicalement transformées depuis 1994 : la radio communautaire rejoint maintenant près de 75 % de l’auditoire potentiel22. »

Autrement dit, les stations de radio communautaires francophones peuvent engendrer de saines habitudes d’écoute. L’Ontario a connu une situation similaire avec l’arrivée des stations radiophoniques communautaires de Cornwall et de Kapuskasing. En effet, depuis leurs mises en ondes, plus de 70 %23 des personnes interrogées à Cornwall et à Kapuskasing affirment écouter la radio en français plus souvent qu’auparavant. Non seulement cette hausse de l’écoute profite aux radios communautaires, mais elle contribue incontestablement à la vitalité des communautés francophones et de leurs membres qui s’écoutent et s’entendent parler en français.

6. Impacts et retombées économiques

La participation des radios communautaires à l’activité économique de leur collectivité reste un phénomène méconnu. Pourtant, les radios communautaires francophones hors Québec ont généré plus de 20 millions de dollars entre les années 80 et 90 selon l’Alliance des radios communautaires du Canada. Cette somme provenait, notamment, de la publicité et des activités de collecte de fonds.

Quant au MICRO, il estime à deux millions de dollars par an le chiffre d’affaires de ses membres. À cela s’ajoutent les impacts économiques directs et indirects sur les communautés locales. Toujours selon cet organisme, les principales retombées directes sont les salaires et autres traitements versés aux employés. Le MICRO soutient également que ses membres ont créé une vingtaine d’emplois directs à temps plein ainsi qu’une dizaine d’emplois indirects.

Les apports de ces stations à l’économie locale ne s’arrêtent toutefois pas là : ils incluent aussi la production de revenus pour les fournisseurs locaux de biens et services divers auxquels ces stations font appel dans le cadre de leurs activités au jour le jour.

La présence des radios communautaires a également des impacts réels sur l’industrie culturelle locale. Elle entraine, notamment, une augmentation marquée des enregistrements de disques d’artistes franco-ontariens, une croissance dans la vente des billets de spectacles, et une participation accrue des citoyens aux activités de leurs communautés24. Ce constat est soulevé dans le rapport du Comité sénatorial permanent des langues officielles paru en 2009. « Les radios et les journaux communautaires sont des partenaires de taille dans le financement d’événements culturels qui ont lieu dans les communautés. En plus d’être un lien d’information à l’image des communautés, ils sont des bâtisseurs de la capacité de vivre en français. Ils constituent des lieux où les communautés se rassemblent, innovent et suscitent la création d’emplois dans de nombreux secteurs25. »

Bref, l’apport économique des radios communautaires contribue à l’épanouissement des francophones et mène à des changements dans leurs habitudes de consommation.

7. Principaux défis

Les radios communautaires francophones de la province font face à un certain nombre de difficultés, dont une capacité financière limitée.

7.1. Situation financière précaire

La question de la santé financière fragile des radios communautaires est récurrente. Ce constat a déjà été fait, en 1988, dans une étude commandée par le gouvernement de l’Ontario. Cette étude reconnaissait que :  « …les difficultés actuelles s’expliquent avant tout par le manque de politique cohérente et intégrée et de planification tant au niveau fédéral qu’au provincial26. »

Et plus loin dans ce rapport ses auteurs affirment : « Avec de modestes investissements reflétant une politique provinciale pratique et adaptée, le secteur de la radio communautaire et étudiante pourrait être développé afin de mieux servir les intérêts des citoyens de l’Ontario27. »

Vingt ans plus tard, force est de constater que l’état financier de ces radios est loin d’être reluisant. Pourtant, les avantages et autres impacts sur la communauté liés directement et indirectement au maintien et à l’exploitation des stations radiophoniques ne sont pas négligeables. Ces radios tirent leurs revenus principalement de la vente de publicités et des campagnes de financement qu’elles organisent. Par conséquent, leur santé financière reste largement tributaire de la situation économique de leurs marchés et de la générosité des auditeurs appelés à contribuer à des radiothons et d’autres collectes de fonds.

Selon le MICRO, trois des six radios communautaires francophones de la province sont en déficit. Cette situation précaire et intenable les amène parfois à effectuer des choix difficiles et à revoir constamment leurs priorités — y compris au niveau de leur programmation.

À l’heure actuelle, les Programmes d’appui aux langues officielles du gouvernement fédéral accordent une subvention aux radios communautaires uniquement dans leurs phases de démarrage. Au niveau provincial, il n’existe aucun programme ni de politique propre à ce secteur en raison d’un désengagement du gouvernement qui remonte à l’année 1995.

7.2. Abolition du Programme de radio communautaire de l’Ontario (PRCO)

En 1987, le ministère de la Culture et des Communications de l’Ontario28 entreprend une étude29 qui vise à faire un état des lieux de la situation des radios communautaires et de leur évolution sur une période de quinze ans. Cette période coïncide avec la mise en place d’un programme fédéral pour soutenir les radios communautaires et une hausse des demandes de subventions provinciales formulées par les acteurs de ce secteur.

Bien qu’il existait, à l’époque, plusieurs enveloppes allouées à certains aspects de la radio communautaire provenant de différents ministères, il n’y avait pas de subvention en tant que telle ni de politique globale concernant ces radios avant la mise en œuvre du PRCO.

L’étude conclut que le gouvernement provincial devrait reconnaitre l’importance des services que peut offrir la radio communautaire et devrait — s’il le juge souhaitable — favoriser son expansion en adoptant des politiques qui viendraient appuyer les initiatives fédérales. Elle souligne aussi que les obstacles à cette expansion sont clairs et que les moyens de les écarter sont faciles à établir et peu coûteux30.

En réponse à cette étude, le ministère provincial du Développement économique et du Commerce a mis en place en 1992 le Programme de radio communautaire de l’Ontario (PRCO) qui comportait des objectifs31 très clairs :

  • Encourager et appuyer l’établissement de radios communautaires;
  • Rendre plus stables celles en ondes;
  • Améliorer la qualité de la programmation des stations de radio communautaires;
  • Aider les stations à trouver d’autres sources de financement pour leurs activités.

Bien que le programme n’offrait pas de subventions d’immobilisations, il accordait des fonds d’exploitation aux stations de radio communautaires francophones et autochtones admissibles, de même qu’un financement pour des projets ponctuels.

Mais, le programme a eu une durée de vie éphémère en raison d’une série de compressions budgétaires annoncées par le gouvernement de l’époque. Cette politique de restrictions budgétaires a mené à la suppression de bon nombre de programmes. Ainsi, le programme de radio communautaire de l’Ontario fut aboli en 1995.

8. Pistes de solutions

Le commissaire est d’avis que les radios communautaires de langue française contribuent à la vitalité et à la pérennité de la communauté francophone en Ontario. Dans ce contexte, le commissaire estime qu’un appui gouvernemental et un partenariat avec ces radios seraient certainement appropriés et souhaitables.

8.1. Une politique et un financement stable

Les avantages qui caractérisent la radio communautaire — tels que la promotion de la langue et de la culture de la communauté francophone — ont été reconnus et soulignés par le gouvernement de l’Ontario dans le cadre du programme de radio communautaire de l’Ontario32. Ce programme offrait, en moyenne, une subvention annuelle de 25 000 dollars aux radios communautaires. Depuis la suppression de ce programme en 1995, il n’existe aucun programme visant à financer spécifiquement les stations de radio communautaires en Ontario.

La Fondation Trillium de l’Ontario (FTO) finance seulement les projets qui répondent à ses quatre priorités bien établies, à savoir : la réussite des étudiants et apprenants, une population en meilleure santé et plus active, de meilleures possibilités d’emploi et de développement économique pour les travailleurs et leurs familles, et l’appui des organismes du secteur bénévole qui travaillent au bien-être de leur communauté. Les radios peuvent également s’adresser à la Fondation pour des projets d’immobilisation. Toutefois, ces projets ont un impact limité et ponctuel, car ni la Fondation, ni aucune autre institution provinciale n’octroie de soutien financier stable ou d’expertise susceptible d’assurer aux radios communautaires des rentrées régulières d’argent.

La situation n’est guère plus réjouissante pour ces stations au moment de leur démarrage, au contraire. À ce stade critique, seul le ministère fédéral du Patrimoine canadien maintient son financement à hauteur de 50 % des coûts d’installation alors que les radios communautaires doivent recueillir l’autre 50 % auprès de leurs communautés pour pouvoir entrer en ondes. Plus de vingt ans après l’étude réalisée par le ministère de la Culture et des Communications sur l’évolution des radios communautaires, le Commissariat estime que l’actuel ministère du Tourisme et de la Culture devrait mettre à jour cette étude.33 Cet exercice servirait à évaluer la contribution des radios communautaires à l’enrichissement culturel de la province et à mesurer les défis auxquels ces radios sont confrontées. Vu le rôle de la radio communautaire comme outil de développement, de même que ses retombées sociales et économiques, le commissaire souhaite également que le gouvernement de l’Ontario adopte une politique des radios communautaires qui reconnait son apport à la vitalité et à l’épanouissement de la communauté francophone.

Une telle politique devrait aussi prévoir un fond de démarrage, ainsi qu’un financement de base, qui tiendrait compte des disparités et des particularités des marchés dans lesquels les radios communautaires francophones opèrent afin d’alléger leurs difficultés financières et d’encourager leur développement.

8.2. Politique d’aménagement linguistique

En 2004, le gouvernement de l’Ontario a lancé la Politique d’aménagement linguistique (PAL). Cette politique aide les élèves francophones de l’Ontario à préserver leur culture, à renforcer leur fierté et à améliorer leur rendement scolaire. Elle permet de contrer l’assimilation des jeunes francophones en fournissant plus de formation au corps enseignant confronté aux défis de l’enseignement en milieu minoritaire.

La PAL incite les jeunes à être fiers de leur identité linguistique et culturelle. Elle considère qu’il faut leur réserver une place de choix dans un espace culturel francophone authentique et ouvert sur le monde par le biais de médias et produits culturels francophones qui reflètent leurs réalités et leurs questionnements. La PAL encourage également les jeunes franco-ontariens à participer à des activités sportives et parascolaires en français. De plus, la PAL encourage les organismes communautaires — et notamment les radios communautaires — à donner la parole aux jeunes en les invitant à discuter de sujets qui les concernent.

En ce moment, le ministère de l’Éducation n’accorde pas de subventions aux radios communautaires dans le cadre de la PAL. Il a cependant indiqué au Commissariat qu’il encourage les radios communautaires francophones à communiquer avec l’un de trois agents de liaison communautaire du projet « Élargir l’espace francophone » afin de développer des partenariats avec les écoles de langue française. Ce projet est le fruit d’une collaboration entre la Direction des politiques et programmes d’éducation en langue française du ministère et le Centre canadien de leadership en évaluation (CLÉ).

Le commissaire croit que les radios communautaires devraient saisir cette opportunité offerte par le ministère de l’Éducation pour tisser des liens et pour jeter les bases d’une collaboration avec les écoles de langue française par l’entremise des agents de liaison du projet « Élargir l’espace francophone ».

8.3. L’accent sur la jeunesse

En 2008, l’Office des affaires francophones (OAF) a mené des consultations en plus d’une étude de marché34 auprès d’une trentaine d’organismes communautaires afin de développer une stratégie adaptée aux besoins et à l’image des jeunes francophones de la province. Outre le fait que les jeunes consomment davantage les médias en anglais, y compris la radio, l’étude conclut que les jeunes des 14 à 17 ans se définissent, avant tout, comme étant bilingues. C’est le cas de près de 95 % des jeunes qui ont répondu au sondage.

« Le risque de désengagement des jeunes dans leur communauté est l’un des principaux enjeux qui concernent l’ensemble des Ontariens et Ontariennes. Pour les francophones de l’Ontario, ce risque est accentué par le problème posé par l’assimilation et le taux de conservation de la langue qui décroît avec l’âge35. »

À la suite de cette étude, la stratégie « L’accent sur la jeunesse » a été lancée afin de favoriser l’utilisation du français chez les jeunes francophones et aussi d’encourager leur participation au développement de leurs communautés. Cette initiative gouvernementale compte sur l’appui de plusieurs groupes communautaires ainsi que sur le soutien d’organismes publics et privés. Dès son lancement, la Fondation Trillium de l’Ontario, la Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO) et le groupe Desjardins ont confirmé leur participation. Depuis, d’autres alliances et partenariats ont été conclus. C’est le cas de l’Association française des municipalités de l’Ontario (AFMO) qui a lancé, en collaboration avec l’Office des affaires francophones, un projet de participation citoyenne qui a permis à des élèves de quatre écoles secondaires de participer à la politique municipale et de partager leurs points de vue sur des questions d’intérêt local.

L’Office invite les radios communautaires francophones à le contacter afin qu’une rencontre exploratoire ait lieu. L’Office a aussi affirmé au Commissariat qu’il évaluera avec enthousiasme tout nouveau projet qui vise le développement de la radio communautaire, dans le cadre de sa « stratégie jeunesse ». Les personnes intéressées à soumettre un tel projet pourraient être également appuyées par l’Office des affaires francophones dans d’éventuelles démarches auprès des ministères susceptibles de les aider.

Le commissaire ne peut qu’encourager les radios communautaires à travailler de concert avec l’Office pour explorer des pistes de solutions tout en bénéficiant de son soutien et de son appui dans des projets axés sur la jeunesse. Afin de contrer l’attrait grandissant des jeunes vers les médias en anglais et leur assimilation, les radios communautaires devraient les impliquer et leur offrir une programmation qui les touche et qui réponde à leurs attentes. En effet, le commissaire estime que les radios communautaires constituent un important instrument de développement de la communauté francophone comme véhicule de la culture locale et vitrine de promotion de talents d’aujourd’hui et de demain.

Conclusion

À l’heure de la mondialisation, de l’instantanéité de l’information et de la concentration des médias entre les mains de quelques grands groupes, les radios communautaires jouent un rôle essentiel. Elles permettent de tisser des liens avec leurs auditeurs par leurs programmations axées sur la couverture de nouvelles locales, de renseignements communautaires et d’activités culturelles trop souvent ignorés par les autres médias. Elles font partie des communautés qu’elles desservent et leur contribution se fait sentir de façon tangible tant sur le plan social qu’économique.

« La radio communautaire, là où elle s’installe, devient un catalyseur des forces vives de la population; elle devient un outil de lutte contre l’assimilation; elle contribue à la protection des particularismes locaux et à la promotion de l’identité culturelle36. »

Toutefois, les intervenants du secteur soulignent que l’absence de financement de base constitue l’obstacle le plus important auquel sont confrontées les radios communautaires dont certaines luttent pour leur survie. Pour d’autres, cet obstacle met un frein à leurs projets de développement37.

Le gouvernement de l’Ontario devrait s’engager auprès de ces radios sans quoi les services distincts qu’elles offrent aux auditeurs francophones seront condamnés à vivoter — voire disparaître, à moyen terme — dans certaines régions. À ce titre, les scénarios catastrophes des stations qui ont frôlé la fermeture ne manquent pas : c’est le cas de la mésaventure de CHOD-FM, à Cornwall, qui a failli perdre son permis d’exploitation, en janvier 2005, à cause de ses difficultés financières38.

En 1992, le gouvernement de l’Ontario a reconnu l’importance et le rôle joué par les radios communautaires pour favoriser la vitalité et la pérennité de la communauté francophone. Les raisons évoquées pour justifier le soutien apporté au début des années 90 à cet instrument de développement communautaire sont encore valides aujourd’hui. Toutefois, il importe de noter qu’aucun programme n’a été mis sur pied pour remplacer le défunt programme de radio communautaire de l’Ontario depuis son abolition.

Par ailleurs, bien que la radio fasse connaitre et déniche les artistes locaux d’aujourd’hui et de demain, elle n’a jamais été associée aux arts de façon formelle par le gouvernement de l’Ontario. Cette situation prive les radios communautaires de subventions potentielles.

« La radio communautaire francophone n’est pas un caprice. C’est un maillon essentiel dans la structure médiatique qui nous permet de nous voir à l’œuvre et de dire au monde entier que nous existons39. »

Affronter les nombreux défis auxquels font face les radios communautaires francophones en Ontario passe notamment par une réelle collaboration entre les stations radiophoniques et les ministères et agences concernés.

Compte tenu du libellé du préambule de la Loi sur les services en français qui indique que l’Assemblée législative reconnaît l’apport du patrimoine culturel de la population francophone et désire le sauvegarder pour les générations à venir;

Considérant que les radios communautaires francophones de l’Ontario non seulement promeuvent le patrimoine culturel de la population francophone, mais en font partie à juste titre;

Considérant qu’une étude gouvernementale visant à faire un état des lieux de la situation des radios communautaires et de leur évolution a été réalisée il y a plus d’une vingtaine d’années;

Considérant que cette étude concluait qu’il suffirait de modestes investissements pour appuyer le secteur des radios communautaires afin de mieux répondre aux intérêts des citoyens ontariens;

Attendu qu’un programme de radio communautaire de l’Ontario a été mis en place avec succès en 1992;

Le commissaire recommande au gouvernement :

De concevoir un nouvel état des lieux afin de dresser un portrait précis de la situation des radios communautaires francophones en Ontario et de voir à ce que cet état des lieux propose aussi des solutions concrètes et permanentes pour répondre aux besoins spécifiques des francophones en matière de radio communautaire.

ANNEXE A

Rôle des principales institutions fédérales

Bien que les radios communautaires opèrent en territoire provincial, elles entretiennent des rapports très étroits avec des acteurs fédéraux qui leur dictent le cadre réglementaire dans lequel elles doivent s’implanter et évoluer. Ces derniers leur accordent soit un soutien financier, soit un appui technique.

CRTC

Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), organisme fédéral, s’appuie notamment sur la Loi sur la radiodiffusion et la Politique relative à la radio communautaire afin d’octroyer des permis pour exploiter une station de radiodiffusion communautaire. Les demandes pour ces permis doivent répondre à un certain nombre de critères, notamment en matière de capacités financières et techniques ou encore d’exigences de programmation. Le processus s’étale généralement sur plusieurs années et demande beaucoup de persévérance de la part des groupes communautaires qui soumettent une telle demande.

Patrimoine canadien

Le gouvernement fédéral accorde des subventions aux radios communautaires de langues minoritaires par l’entremise de Patrimoine canadien dans le cadre du volet « vie communautaire » du programme Développement des communautés de langue officielle.

Ce programme vise à favoriser l’épanouissement des minorités francophones et anglophones du pays, en leur permettant de participer pleinement à tous les aspects de la vie canadienne40.

Pour l’instant, ces subventions se limitent à un appui aux radios communautaires lors de leur phase de démarrage, comme ce fut le cas de la nouvelle radio communautaire francophone d’Ottawa, CJFO-FM, qui est entrée en ondes en novembre 2010.

Société Radio-Canada

La Société Radio-Canada (SRC) collabore avec certaines entreprises de programmation de radio communautaire à qui elle offre parfois un soutien technique, une formation, ou encore une aide dans la programmation. Naturellement, cette collaboration varie d’une radio à une autre ainsi que d’une province à une autre41. Toutefois, le MICRO ne partage pas ce point de vue et affirme que la SRC n’apporte aucun soutien aux radios communautaires francophones de l’Ontario.

Quant à sa programmation, il est difficile de comparer la programmation de la SRC à celles des radios communautaires qui occupent un créneau fort différent. À cela s’ajoutent les obstacles rencontrés par la société d’État pour répondre aux besoins locaux, à la suite de deux vagues de compressions budgétaires qui limitent, encore aujourd’hui, sa capacité de répondre aux besoins particuliers des petites communautés francophones en Ontario.
1. Prise de parole de Gilles Bisson, député provincial de Timmins-Baie James à l’Assemblée législative de l’Ontario, le 24 novembre 2008. Extrait du Hansard disponible en ligne : http://hansardindex.ontla.on.ca/hansardeissue/39-1/l092.htm (page consultée en avril 2011).
2. Alliance des radios communautaires du Canada (ARC), Répertoire – Alliance des radios communautaires du Canada : 10e anniversaire du mouvement des radios, Ottawa, ARC, 1995, p. 1
3. Fédération des communautés francophones et acadienne, Profil de la communauté francophone de l’Ontario, FCFA, 2009. Disponible en ligne : http://www.fcfa.ca/profils/documents/ontario_fr.pdf (page consultée en avril 2011).
4. Alliance des radios communautaires du Canada, mémoire présenté au Sommet des communautés francophones et acadiennes, 2007. Disponible en ligne : http://www.fcfa.ca/documents/541.pdf (page consultée en avril 2011).
5. Ibid.
6. Disponible en ligne : http://www.crtc.gc.ca/fra/archive/2000/pb2000-13.htm (page consultée en avril 2011).
7. Extrait d’une lettre envoyée au CRTC le 14 janvier 2009 par Lucien Bradet, président de la RCFO.
8. Témoignage de M. Caroll Jacques, Alliance de la francophonie de Timmins (bureau de Kirkland Lake), devant la 40e législature, 2e session du Comité permanent de Patrimoine canadien, le 11 mai 2009. Disponible en ligne : http://www2.parl.gc.ca/HousePublications/Publication.aspx?Mode=1&Parl=40&Ses=2&DocId=3886244&File=0&Language=F#Int-2755687 (page consultée en avril 2011).
9. Par exemple, au moment de mettre cette étude sous presse, la population francophone de Windsor bénéficiait d’environ une heure de programmation locale à la radio de Radio-Canada, cinq jours par semaine.
10. Bart Cammaerts : « Community radio in the West: a legacy of struggle for survival in a state and capitalist controlled media environment », dans International Communication Gazette,, vol. 71, no 8, 2009, pp. 635-654.
11. Selon l’enquête sur la vitalité des minorités de langue officielle de Statistique Canada publiée en 2007, les francophones du Sud-Est démontrent un sentiment d’appartenance à la communauté francophone plus fort (48 %) alors que, par exemple, la proportion de francophones de la région de Toronto qui disent appartenir d’abord au groupe anglophone ou à d’autres est plus élevée qu’ailleurs
12. Ginette Gratton, « Une radio communautaire : Un maillon de communication essentiel pour les francophones », La Nouvelle, Embrun, le 2 avril 2009. Disponible en ligne : http://www.journallanouvelle.ca/Vie-communautaire/2009-04-02/article-786742/Une-radio-communautaire-Un-maillon-de-communication-essentiel-pour-les-francophones/1(consultée en avril 2011).
13. Annie Bédard, « Les médias et les organismes porte-parole des communautés francophones et acadiennes : rapports, synergies et tensions », dans Canadian Issues /Thèmes canadiens, Été 2007, pp.19–22.
14. Voir notamment le mémoire intitulé, Vers une nouvelle synergie d’action : sommet des communautés francophones et acadiennes, présenté par Rodrigue Landry, Éric Forgues et Christophe Traisnel à la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada en 2007.
15. Sara Beth Keough, “The importance of place in community radio broadcasting: A case study of WDVX, Knoxville, Tennessee”, (étude de cas) dans Journal of Cultural Geography vol. 27, no 1, 2010, pp 77-98.
16. Guylaine Proulx, « Le rôle de Radio-Canada auprès des communautés francophones du Canada : un entretien avec Florian Sauvageau » dans Michel Beauchamp et Thierry Watine, Médias et milieux francophones, Québec, Presses de l’Université Laval, 2006, p.145.
17. Sharmeen Khan, « Community radio and the frequency of struggle », dans Briarpatch, juin/juillet 2007
18. Ibid.
19. Par exemple, la Cité collégiale offre des programmes en radiodiffusion, en journalisme et en relations publiques et communications. Pou plus de détails : http://www.lacitec.on.ca/c/document_library/get_file?uuid=6d32763e-5a0b-483d-adb3-503aa0641923&groupId=10251(page consultée en avril 2011).
20. Jean-Pierre Corbeil et Sylvie Lafrenière, Portrait des minorités de langue officielle au Canada : les francophones de l’Ontario, Ottawa, Statistique Canada, 2010.
21. Annette Boudreau et Lise Dubois, « La radio communautaire en milieu minoritaire : légitimation identitaire, diversification du marché linguistique et changement linguistique », dans Régine Delamotte-Legrand, (dir.) Les Médiations langagières. Des discours aux acteurs sociaux, Publications de l’Université de Rouen, volume 2, 2004. p. 178.
22. Ibid.
23. Alliance des radios communautaires du Canada, supra note 2, p. 8.
24. Alliance des radios communautaires du Canada, Délibérations du Comité sénatorial permanent des langues officielles, 1re session, 39e législature, fascicule no 16, Ottawa, 28 mai 2007, p. 7.
25. Comité sénatorial permanent des langues officielles, Les arts et la culture francophones : croire, vouloir et vivre en milieu minoritaire, Ottawa, 2e session, 40e législature, juin 2009, p. 16.
26. Kealy Wilkinson and Associates, La Radio communautaire en Ontario : une ressource dynamique, un avenir incertain, Ministère de la Culture et des Communications, Ontario, 1988, p. 62.
27. Ibid.
28. Les responsabilités de ce ministère ont été réévaluées au fil des années et il est maintenant connu sous le nom de ministère du Tourisme et de la Culture.
29. Kealy Wilkinson and Associates, op .cit.
30. Ibid., p.3
31. Ministère du Développement économique et du Commerce, Programme de radio communautaire de l’Ontario, brochure, Gouvernement de l’Ontario, Toronto, Imprimerie de la Reine pour l’Ontario, 1994.
32. Ministère du Développement économique et du Commerce, op. cit.
33. Le commissaire reconnait que le ministère du Développement économique et du Commerce comprend une unité de travail qui s’occupe du secteur des « technologies de l’information et des communications ». Cependant, le commissaire est d’avis que cette question est davantage reliée à la « culture ».
34. Pour plus de détails : http://www.ofa.gov.on.ca/docs/jeunesse_rapport.pdf (page consultée en avril 2011)

35. Ibid.
36. Barbara Losier, « La Radio communautaire francophone au Canada. Une vue d’ensemble » dans Fernand Harvey (dir.) Médias francophones hors Québec et identité. Analyses, essais et témoignages, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1992, p. 196.
37. Rapport sommaire de la CRC sur les Rencontres informelles des intervenants Mars – avril 2009. Secteur de la radio communautaire et de campus. Disponible en ligne : http://www.crtc.gc.ca/fra/publications/reports/radio/rp0904.htm(page consultée en avril 2011).
38. Jean-François Dugas, « CHOD FM, voix francophone de l’Est ontarien », Le Droit, le 3 avril 2009.
39. Ginette Gratton, supra note 13.
40. Pour plus de détails : http://www.pch.gc.ca/fra/1267730127653/1268917925906 (page consultée en avril 2011).
41. Pour plus de détails : http://www.crtc.gc.ca/fra/backgrnd/language/lo0903-ol0903.htm (page consultée en avril 2011).