Lettre envoyée au ministre de la Santé et des Soins de longue durée, l’honorable David Caplan, au sujet du projet de règlement sur la santé

Cette lettre a été envoyée au ministre de la Santé et des Soins de longue durée, l’honorable David Caplan, par le commissaire aux services en français au sujet du projet de règlement sur la santé.

Icône PDF — Grand Projet de règlement : Engagement de la collectivité francophone en application de l’article 16 de la Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local

Le 12 novembre 2008

L’Honorable David Caplan

Ministre de la Santé et des Soins de longue durée

Unité de l’équité, Direction des politiques et des relations liées au système de santé

Division de la stratégie du système de santé

80, rue Grosvenor, 8e étage

Édifice Hepburn, Queen’s Park

TorontoONM7A 1R3

Objet : Projet de règlement : Engagement de la collectivité francophone en application de l’article 16 de la Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local

Monsieur le Ministre,

Le 13 septembre 2008, vous avez déposé un projet de règlement portant sur l’engagement de la collectivité francophone en application de l’article 16 de la Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local, L.O. 2006, chap. 4 (ci-après « la LISSL »). Dans ce contexte, il me fait plaisir de vous remettre aujourd’hui certains commentaires relatifs à ce projet de règlement. Il importe de préciser que mes suggestions ne doivent pas être vues comme des recommandations formelles, mais plutôt comme des pistes de solutions.

À ce jour, le Commissariat aux services en français a reçu près de quatre-vingt plaintes concernant le présent projet de règlement sur la santé. Ces plaintes proviennent à la fois de particuliers comme de représentants d’organismes communautaires ou œuvrant dans le domaine de la santé. Je pense sincèrement qu’avec des modifications, certaines importantes comme l’ajout d’un coordonnateur des services en français, nous arriverons à trouver une solution acceptable qui respectera à la fois l’objet de la LISSL ainsi que les préoccupations légitimes des communautés francophones.

Le but de la LISSL est justement de favoriser une appropriation locale du système de santé pour prévoir d’une part, une meilleure connaissance de la collectivité afin de mieux la desservir et, d’autre part, de pouvoir rendre des comptes directement à cette collectivité. Les francophones de l’Ontario ne sont pas différents des autres membres de la collectivité locale en ce qu’ils souhaitent eux aussi participer ardemment au processus décisionnel tout en s’assurant d’une reddition de compte efficace. Il s’agit d’un enjeu de gouvernance. À ne pas confondre toutefois avec un enjeu de gestion, ce dont il n’est aucunement question en l’espèce.

La position et modification proposée par le Commissariat se divisent en deux parties. La première portera sur un survol rapide des lois en matière de services en français. Dans la deuxième, il sera question du projet de règlement et sur des propositions de modification, notamment par l’ajout d’un coordonnateur des services en français.

PREMIERE PARTIE — LES LOIS

1. La Loi sur les services en français et le domaine de la santé

a) La Loi sur les services en français en général

La Loi sur les services en français, L.R.O. 1990, chap. F.32 (ci-après « la LSF ») prévoit l’obligation du gouvernement de l’Ontario d’assurer la prestation de ses services en

français1, ainsi que le droit de la population d’utiliser le français pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale d’un organisme gouvernemental ou d’une institution de la Législature ou avec un bureau local dans une région désignée2.

L’expression « organisme gouvernemental » est définie de façon explicite dans la LSF :

a) un ministère du gouvernement de l’Ontario, sauf que les établissements psychiatriques, les foyers et les collèges d’arts appliqués et de technologie administrés par un ministère ne sont pas inclus, à moins d’être désignés par les règlements en tant qu’organismes offrant des services publics;

b) un conseil, une commission ou une personne morale dont la majorité des membres ou des administrateurs sont nommés par le lieutenant gouverneur en conseil;

c) une personne morale à but non lucratif ou une organisation semblable, qui fournit un service au public, reçoit des subventions qui sont prélevées sur les deniers publics, et est désignée par les règlements en tant qu’organisme offrant des services publics;

d) un foyer de soins de longue durée au sens de la Loi de 2007 sur les foyers de soins de longue durée qui est désigné par les règlements en tant qu’organisme offrant des services publics, autre qu’un foyer municipal ou un foyer commun ouvert aux termes de la partie VIII de cette loi, ou un foyer de soins spéciaux au sens de la Loi sur les foyers de soins spéciaux qui est désigné par les règlements en tant qu’organisme offrant des services publics;

e) un fournisseur de services au sens de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille ou un conseil d’administration au sens de la Loi sur les conseils d’administration de district des services sociaux qui sont désignés par les règlements en tant qu’organismes offrant des services publics.

La Cour d’appel de l’Ontario a confirmé que la LSF a été « présentée et adoptée en 1986 dans le contexte général d’une progression et d’une amélioration constantes des services en français »3. Dans la même décision, la cour a tenu les propos suivants quant aux buts et objectifs sous-jacents à la LSF :

[143] L’historique législatif et les déclarations des députés entourant l’adoption de la L.S.F. autorisent notre Cour à tirer un certain nombre de conclusions à propos des buts et objectifs sous-jacents de la L.S.F. et de l’intention du législateur. L’un des buts et objectifs sous-jacents de la loi était de protéger la minorité francophone en Ontario; un autre était de faire progresser le français et de favoriser son égalité avec l’anglais. Ces objectifs coïncident avec les principes sous-jacents non écrits de la Constitution du Canada. Comme nous l’avons déjà déclaré, les principes constitutionnels sous-jacents peuvent dans certaines circonstances engendrer des obligations légales substantielles à cause de leur puissante force normative4.

La LSF doit être interprétée à la lumière du principe constitutionnel fondamental du respect et de la protection des minorités. Elle doit donc recevoir une interprétation large et libérale, en conformité de ses objectifs de promouvoir et de protéger la communauté francophone de l’Ontario. La Cour d’appel de l’Ontario a aussi reconnu le caractère quasi-constitutionnel de la LSF.

Mais au-delà de la reconnaissance des droits linguistiques, la communauté francophone de l’Ontario doit pouvoir compter sur la présence d’institutions pour pouvoir se développer et s’épanouir. La reconnaissance publique de la langue, soit son statut, ainsi que le soutien institutionnel accordé à la communauté sont des facteurs essentiels au développement de la communauté francophone.

Ainsi, le principe d’égalité réelle a de la valeur lorsqu’il accompagne la reconnaissance du droit de la communauté francophone de participer et gérer des institutions essentielles à son développement. La lutte entourant l’hôpital Montfort rappelle toute l’importance du lien entre les institutions de la communauté, sa reconnaissance publique par le gouvernement et la préservation de l’héritage et du patrimoine francophone de l’Ontario pour les générations à venir, tel qu’indiqué dans le préambule de la LSF.

Les organismes gouvernementaux jouent un rôle important dans l’épanouissement des communautés francophones de l’Ontario. Je réitère souvent aux administrateurs des organismes gouvernementaux l’importance de bien connaître les besoins de leur clientèle cible francophone. Il s’agit là d’une simple question d’excellence dans une fonction publique moderne.

b) La LSF dans le contexte de la santé

Une diminution des services de santé offerts à la communauté francophone et une action qui compromettrait la formation des professionnels de la santé en français « accroîtraient l’assimilation des Franco-Ontariens »5. Les institutions de santé jouent donc un rôle positif et déterminant dans la promotion des communautés francophones.

Dans l’affaire Lalonde (connue aussi sous l’affaire Montfort), la Cour divisionnaire et la Cour d’appel de l’Ontario ont reconnu qu’une institution de santé a un rôle plus large que la simple prestation de services de soins de santé. Ce rôle plus large « comprend notamment celui de maintenir la langue française, de transmettre la culture francophone et de favoriser la solidarité au sein de la minorité franco-ontarienne ». Dans cette décision, l’Hôpital Montfort a été décrit comme une « importante institution, vitale pour la minorité francophone de l’Ontario sur les plans linguistique, culturel et éducatif »6

Les tribunaux ont accordé une interprétation large et libérale de la LSF. Dans le contexte de la santé, la Cour d’appel de l’Ontario a défini l’expression « services » à l’article 5 de la LSF comme faisant référence aux services de soins de santé offerts quand l’Hôpital Montfort a été désigné en vertu de la LSF7. Ainsi, la décision de la Commission de restructuration des services de la santé de diminuer les services de santé offerts par l’Hôpital Montfort a été jugée contraire à la LSF.

La désignation d’une institution, en vertu de la LSF, a été interprétée comme accordant non seulement le droit aux services de santé en français, mais aussi le droit à « toute structure nécessaire assurant la prestation de ces services de santé en français »8. Il s’en suit qu’une décision, même discrétionnaire, modifiant les services offerts par une institution de santé désignée par la LSF, voire la qualité de ces services « ne peut pas reposer sur de simples arguments de commodité administrative et de vagues préoccupations de financement »9.

Il découle clairement de l’affaire Lalonde que les tribunaux donnent une place importante aux institutions de soins de santé dans la protection, la promotion et l’épanouissement des communautés francophones de la province. La LSF doit être interprétée de façon large et libérale afin de protéger le rôle important accordé aux institutions de santé.

2. La Loi de 2006 sur l’intégration du système de santé local

a) Les principes directeurs

La LISSL crée un mécanisme par lequel les ressources en santé en Ontario peuvent être analysées et, potentiellement, intégrées par un organisme régional, le « réseau local d’intégration des services de santé » (ci-après « RLISS »).

Le préambule de la LISSL indique ceci :

La population de l’Ontario et son gouvernement :

f) croient que le système de santé devrait être guidé par un engagement à l’égard de l’équité et un respect de la diversité des collectivités lorsqu’il dessert la population de l’Ontario et respectent les exigences de la Loi sur les services en français lorsqu’il dessert les collectivités francophones ;

Ainsi, le législateur reconnaît donc clairement les propos de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’affaire Lalonde, quant à l’importance des organismes de santé et le rôle qu’ils jouent dans la préservation des communautés francophones de cette province.

L’objectif de la LISSL est prévu à l’article 1 de la Loi :

La présente loi a pour objet de prévoir un système de santé intégré afin d’améliorer la santé de la population ontarienne grâce à un meilleur accès à des services de santé de grande qualité, à des soins de santé coordonnés entre les systèmes de santé locaux et à l’échelle de la province et à une gestion efficace et efficiente du système de santé à l’échelon local par le biais de réseaux locaux d’intégration des services de santé

On y rappelle ici toute l’importance accordée à la volonté du législateur de remettre à la communauté la responsabilité de planifier, de gérer l’administration de la santé en y désignant pour ce faire des RLISS.

b) Le rôle du ministère de la Santé dans l’intégration du système de santé

Le ministère se détache graduellement des affaires administratives quotidiennes afin de se concentrer davantage sur la conception, le financement, la surveillance et l’élaboration de stratégies. Bref, c’est en quelque sorte un rôle de stewardship. C’est ce que prévoit la LISSL10.

Pour le conseiller sur les questions relatives à la prestation de services de la santé aux communautés francophones ainsi que sur les priorités et stratégies à intégrer au plan stratégique provincial à l’égard de ces collectivités, le ministre doit créer un « conseil consultatif des services de santé en français »11, ce qui a été fait au cours de la dernière année.

La LISSL prévoit que le ministre doit aussi consulter « les organismes de planification des services de santé de la province qui tirent leur mandat du gouvernement de l’Ontario »12.

c) Les Réseaux locaux d’intégration des services de santé

La LISSL crée de nouveaux organismes dans la gestion du système de santé, les « réseaux locaux d’intégration des services de santé » (« RLISS »). Chaque réseau agit comme mandataire de la Couronne13 et a comme mission de :

  • Promouvoir l’intégration du système de santé local afin de fournir des services de santé appropriés, coordonnés, efficaces et efficients;
  • déterminer les besoins du système de santé local en matière de services de santé et prendre des dispositions à leur égard conformément aux plans et priorités provinciaux et faire des recommandations au ministre au sujet du système, y compris ses besoins en matière de financement d’immobilisations;
  • engager la collectivité de personnes et d’entités qui œuvrent au sein du système de santé local dans la planification du système et l’établissement des priorités de celui-ci, y compris l’établissement de mécanismes formels pour la participation et la consultation de la collectivité; veiller à ce que le système de santé local soit doté de processus appropriés pour répondre aux préoccupations de la population au sujet des services qu’elle reçoit;
  • évaluer et surveiller le rendement du système de santé local et de ses services de santé, y compris l’accès à ces services et leur utilisation, leur coordination, leur intégration et leur rentabilité, et faire rapport à ce sujet au ministre et en assumer la responsabilité devant lui;
  • participer et collaborer à l’élaboration, par le ministre, du plan stratégique provincial ainsi qu’à l’établissement et à la mise en œuvre de la planification à l’échelle provinciale, de la gestion de systèmes et des priorités, des programmes et des services en matière de soins de santé à l’échelle provinciale;
  • élaborer des stratégies et collaborer avec les fournisseurs de services de santé, y compris les centres universitaires des sciences de la santé, les autres réseaux locaux d’intégration des services de santé et les fournisseurs de services à l’échelle provinciale, entre autres, afin d’améliorer l’intégration des systèmes de santé provincial et locaux et la coordination des services de santé;
  • mettre en œuvre des stratégies mixtes avec d’autres réseaux locaux d’intégration des services de santé afin d’améliorer les soins aux malades et l’accès à des services de santé de grande qualité et de promouvoir la continuité des soins de santé entre les systèmes de santé locaux et partout dans la province, et participer à ces stratégies;
  • diffuser de l’information sur les meilleures pratiques et favoriser le transfert des connaissances entre les réseaux locaux d’intégration des services de santé et les fournisseurs de services de santé;
  • rehausser l’efficience économique de la prestation de services de santé et la durabilité du système de santé;
  • accorder un financement aux fournisseurs de services de santé, conformément aux priorités provinciales, de sorte qu’ils puissent fournir des services de santé et du matériel sanitaire;
  • conclure des ententes visant l’établissement de normes de rendement et faire en sorte que les fournisseurs de services de santé qui reçoivent un financement du réseau se conforment à ces normes;
  • faire en sorte que les ressources humaines, matérielles et financières du réseau soient gérées de façon efficace et efficiente et répondre de leur utilisation devant le ministre;
  • réaliser les autres objets que précise le ministre par règlement pris en application de la LISSL.

Comme le ministère, chaque RLISS doit élaborer une stratégie locale, désignée dans la Loi comme « plan de services de santé intégrés ». Ce plan doit élaborer « une vision, un ensemble de priorités et une orientation stratégique pour le système de santé local et énoncent des stratégies sur les moyens d’intégrer celui-ci de façon à réaliser l’objet de la [LISSL] »14.

D’un rapide coup d’œil, il est facile de constater à quel point les responsabilités sont grandes et la tâche, colossale.

Les RLISS n’ont pas l’obligation, comme le ministre, de créer un comité consultatif quant aux services de santé en français, mais ceux-ci se doivent « d’engager de façon soutenue » la collectivité de la région desservie dans l’élaboration du plan de service de santé intégré.

Lorsqu’il est question de la communauté francophone, la LISSL prévoit plutôt l’engagement du RLISS envers son entité de planification des services de santé en français. Contrairement à l’expression « collectivités », l’expression « entité de planification des services de santé en français » n’est pas définie dans la loi. Le législateur a toutefois indiqué que les entités de planification des services de santé en français doivent être désignées par règlementation pour que les RLISS soient obligés de les engager dans leur planification.

Les RLISS sont des organismes gouvernementaux au sens de la LSF. Bien entendu, étant donné l’obligation explicite de respecter les principes de la LSF dans l’intégration des services de santé, les RLISS œuvrant dans les régions désignées se doivent donc « d’engager de façon soutenue » la communauté francophone dans l’élaboration de ces plans.

Le législateur a choisi d’obliger les RLISS « d’engager de façon soutenue » la communauté, ce qui doit pouvoir signifier plus que la simple consultation. Les membres de la collectivité doivent donc avoir une participation significative dans l’élaboration du plan de service et des priorités.

DEUXIEME PARTIE –LE PROJET DE REGLEMENT

La population francophone a participé au processus de consultation qui a mené à l’adoption de la LISSL en 2006 et à la création des RLISS. L’une des principales craintes de la communauté francophone était de voir ses besoins et priorités banalisées et perdues au sein de l’analyse des besoins et priorités de la majorité de la population. Après tout, une communauté mieux desservie est une communauté en meilleure santé. La communauté francophone a compris ce principe et c’est précisément au nom de ce principe qu’elle s’est dotée d’institutions et de réseaux pour mieux connaître ses besoins, se doter de données fiables et donc mieux la desservir.

La loi de 2006, avec l’inclusion de l’obligation pour les RLISS d’engager la collectivité francophone via une entité de planification des services de santé en français, constituait non pas un compromis politique, mais plutôt une façon intelligente de prévoir le service à la communauté francophone autrement, en fonction de ses besoins précis. Chaque RLISS doit être capable d’assumer une gestion complète des dépenses publiques pour le territoire qu’il dessert. En contrepartie, la planification des services de santé pour la population francophone sera encadrée par une entité de planification francophone. C’est ce que dit la loi de 2006 et c’est ce que la communauté francophone a compris.

Les principales préoccupations au projet de règlement et pistes de solutions

1. Comités consultatifs v. entités de planification francophones

Il est clair qu’il existe ici une difficulté à pallier. Le projet de règlement vise la création de comités en vertu de l’article 16 de la LISSL. Or, la LISSL parle plutôt d’entités de planification des services de santé en français.

Le législateur a voulu responsabiliser chacun des RLISS envers ses obligations en vertu de la LSF tout en ne voulant pas se dissocier des forces vives du milieu francophone en santé, d’où la mention des entités de planification des services de santé en français. Il ne s’agit pas là d’une erreur de la part du législateur mais bien d’une volonté ferme de s’associer aux forces vives du milieu francophone, en santé. On ne doit pas donner l’impression que l’on repart à zéro, mettant de côté toute la richesse de l’expertise et du réseautage acquise au cours des dernières années, voire bien au-delà.

Le projet de règlement doit faire référence à des entités de planification de services de santé en français. Cela dit, je ne suis pas convaincu qu’il existe une définition commune à tous les intervenants, ainsi qu’au sein même du ministère, à la notion d’une entité de planification de services de santé en français. Il serait capital de pouvoir s’entendre sur une définition commune.

Plusieurs intervenants avancent qu’il s’agit là d’une lacune importante puisque l’absence de consultation d’un joueur significatif – les quatre Réseaux de santé en français – et déjà actif dans la planification des services de santé en français, va à l’encontre à la fois de l’objectif de la LISSL de consulter les intervenants en santé dans les communautés et de celui de la LSF de veiller à la protection et la promotion des communautés francophones.

Quelles devraient être les entités de planification des services de santé en français ?

Certains préconisent que ce devrait être les réseaux déjà existants et dont l’un d’eux est même déjà formellement reconnu par le ministère de la Santé et des Soins de Longue durée. On avance ainsi que cela éviterait de créer une structure parallèle en matière de planification des soins de santé.

D’autres par contre pourraient légitimement s’opposer en insistant sur la possibilité de transiger directement avec le RLISS, sans passer par un autre intermédiaire.

Au-delà du nom, il doit y avoir aussi d’autres changements sur le plan des ressources, de l’encadrement de ces entités et quant à l’imputabilité du RLISS envers ses obligations en vertu non seulement de la LISSL mais aussi de la LSF.

À mon avis, il y a une place importante à la fois pour les entités de planification de services de santé en français pour chacun des RLISS mais aussi pour les réseaux et autres forces vives de la communauté.

2. La composition des entités de planification de services de santé en français

Le projet de règlement indique que la composition du comité, assumant que ce sera dorénavant une entité de planification, se compose de particuliers qui représentent la diversité de la collectivité francophone et qui œuvrent au sein du système de santé local ou sont touchés par celui-ci.

Le projet de règlement prévoit également que les particuliers nommés à ces entités doivent comprendre des membres de la collectivité francophone et des représentants des secteurs de soins de santé qui ont des rapports avec la collectivité et qui participent à la planification et à la prestation de soins de santé dans la zone géographique, notamment les organismescommunautaires, les établissements d’enseignement, les membres des professions de la santé réglementées et les fournisseurs de services de santé.

Certains RLISS ont déjà entrepris des démarches en ce sens, parfois en faisant directement affaire avec le réseau francophone de la région concernée.

Les deux principales craintes sont que ces entités de planification ne soient pas composées en majorité par des francophones et qu’ils ne soient laissés à eux-mêmes, sans ressources et sans appui. La première crainte est mal fondée comme on l’indique le libellé même du projet de règlement.

Quant à la deuxième crainte, elle m’apparaît en effet fondée et j’y reviendrai plus loin.

3. Le mandat des entités de planification de services de santé en français

L’article 2 du projet de règlement prévoit les activités de l’entité de planification des services de santé en français. Cela semble assez complet sauf pour quelques éléments clés comme la collecte de données fiables en ce qui a trait à la variable linguistique afin de mieux cerner les problématiques des communautés francophones.

4. Encadrement et ressources des entités de planification de services de santé en français

Or, même si la composition de ces nouvelles entités semble adéquate, ces comités demeurent à vocation consultative sans indication de ressources adéquates, ni de garantie de suivi de leurs recommandations. Une raison de plus de changer le projet de règlement pour obtenir des entités de planification de services de santé en français.

Les RLISS sont responsables de veiller au respect de la LSF puisqu’ils sont de nouveaux organismes gouvernementaux au sens de la Loi.

Dans mon premier rapport annuel, j’ai fortement insisté qu’il est de toute première importance de penser aux services en français dès la conception des politiques, programmes, services et produits. J’ai analysé en profondeur le rôle des coordonnateurs des services en français au sein des ministères. L’article 13 de la Loi sur les services en français prévoit qu’un coordonnateur des services en français soit nommé au sein de chaque ministère. La volonté du législateur de s’assurer que les coordonnateurs puissent avoir accès directement à leur sous-ministre respectif devait faciliter ce travail de planification, de liaison interne et de suivi. Si le coordonnateur participe activement au processus de planification stratégique de chaque ministère, il sera alors plus aisé de pouvoir intégrer l’idée de services en français utiles et efficaces pour le bien-être des communautés francophones de l’Ontario.

La responsabilité première du coordonnateur des services en français au sein de son ministère consiste à superviser l’intégration des services en français dans la stratégie à court, moyen et long terme du ministère. Les coordonnateurs jouent ainsi un rôle de consultation des besoins et priorités ainsi que de liaison, tant du ministère que du côté des communautés francophones.

De plus, en ayant une personne qui ait accès directement à l’administrateur en chef, je souhaite que cette personne soit en position d’influence auprès de la conception des orientations stratégiques des ministères, comme c’est le cas avec les directeurs généraux de l’administration.

5. Inclure un coordonnateur dans le projet de règlement

Puisque les RLISS sont de nouveaux organismes gouvernementaux, ils devraient se doter d’un coordonnateur des services en français. Le projet de règlement devrait prévoir une telle obligation.

L’activité principale du coordonnateur des services en français au sein de chaque RLISS consisterait à assurer le suivi aux activités de l’entité de planification de services de santé en français. Son rôle serait aussi de pouvoir influer, directement, sur la planification stratégique et autres orientations de l’ensemble du RLISS. Ce nouveau rôle devra aussi être décrit dans le projet de règlement.

Je suis conscient de deux choses. Premièrement, il s’agit là d’une proposition émanant de mon prisme de commissaire aux services en français et non d’un spécialiste en santé.

Deuxièmement, je suis conscient également que le système actuel de coordonnateurs dans la fonction publique est déficient, d’où ma recommandation de changement dans mon premier rapport annuel. Mais cette solution proposée a le mérite de remettre au premier plan la responsabilité qui échoit aux RLISS en matière de services en français.

 6. Imputabilité

Le législateur a prévu, pour aider les RLISS, à bien s’acquitter de leurs responsabilités envers la population francophone, de se doter d’entités de planification de services de santé en français. Ces entités vont certainement émettre des recommandations. Or, comment s’assurer que le RLISS donnera suite à ces recommandations ? Qui en assurera le suivi ?

Les RLISS sont des organismes gouvernementaux au sens de la LSF. Ils ont donc une responsabilité d’agir afin de faire respecter les services en français dans leur zone géographique respective. Ce sont eux, les RLISS, qui sont imputables au sens de la LSF et auprès de la population francophone.

Le législateur a aussi prévu, via les RLISS, une appropriation locale de la prise de décision. Cette prise de décision doit être conforme aux objectifs de la LISSL et de la LSF. Si le RLISS ne devait pas suivre toutes les recommandations de son entité de planification de services de santé en français, il doit être capable de justifier sa décision. Comprenons-nous bien : le RLISS a le devoir de prendre des décisions. Toutefois, il doit rendre des comptes publiquement de ses décisions. Mais un rapport annuel n’est pas suffisant. D’autres mesures d’imputabilité doivent être mises en place pour rassurer la population, notamment la population francophone, du respect des lois, y compris du respect de la LSF.

Si le RLISS n’est pas en mesure de justifier sa décision, alors il y aurait un manquement tant au niveau du respect du mandat prévu à la LISSL qu’aux obligations prévues par la LSF.

Dans pareilles situations, le rôle du ministère apparaît clairement de faire respecter les lois en vigueur. Aussi, le ministère devrait d’ores et déjà réfléchir sur de possibles conséquences en cas de manquements aux lois en vigueur.

Cela m’apparaît très important, voire fondamental. Pour les communautés francophones en Ontario, comme pour le reste de la population, il serait inacceptable qu’un organisme gouvernemental, c’est-à dire, le RLISS, ne puisse être capable de justifier sa décision si elle n’apparaît pas aller dans le sens des recommandations de son entité de planification de services de santé en français.

Le ministère semble déjà avoir en mains quelques avenues intéressantes au niveau de l’imputabilité. Cela doit être prévu par le cadre réglementaire. Le projet de règlement devrait aussi inclure des dispositions claires de respect des obligations prévues à la LSF. En cela, le projet de règlement devrait aussi prévoir des dispositions claires d’indicateurs de performance en matière d’excellence en services en français.

Afin de s’assurer de renforcer l’imputabilité entre l’entité de planification et le RLISS, le projet de règlement devrait prévoir au moins une rencontre annuelle, avant toute prise de décisions au niveau de la planification de services de santé.

Depuis bien longtemps, les communautés francophones ont pu constater des manquements quant à l’imputabilité des ministères, agences et autres fournisseurs de services concernant le respect de la LSF, plus spécifiquement dans le domaine de la santé. Maintenant que les communautés francophones sont mieux organisées, qu’elles se sont elles-mêmes dotées de mécanismes d’identifications de problématiques et de solutions, il serait vraiment dommage de devoir tout recommencer à zéro. Personne ne souhaite voir de système parallèle, mais tous recherchent une certitude que l’on progressera ensemble, dans l’intérêt de la population. Une règlementation claire y est essentielle.

7. Qui serait le coordonnateur des services en français pour chacun des RLISS ?

Le coordonnateur pourrait être une personne embauchée spécifiquement pour ces fonctions ou quelqu’un déjà à l’emploi du RLISS qui aurait des responsabilités accrues.

Le coordonnateur des services en français peut être aussi une personne morale. Cela ouvrirait la porte à la possibilité, par exemple, qu’un réseau de santé en français déjà en place puisse assumer ce rôle de coordonner les activités de planification de l’entité de planification de services de santé en français. Le projet de règlement pourrait préciser que, advenant le cas où ce serait une personne morale qui serait le coordonnateur des services en français, cette personne morale désigne quelqu’un pour assurer le suivi auprès du RLISS et pour participer aux discussions entourant la planification et les orientations du système de santé du RLISS.

8. Regroupement de RLISS

Le projet de règlement prévoit déjà qu’il soit possible que deux RLISS ou plus créent conjointement un comité (en tenant pour acquis que ce soient dorénavant des entités de planification de services de santé en français). Cette possibilité se justifie amplement. Nous n’avons qu’à penser, par exemple, à la grande région de Toronto où pas moins de cinq RLISS y œuvrent. S’il n’existe qu’un seul foyer pour personnes âgées francophone dans la région, il est fort probable que ces francophones proviendront des divers coins de la grande région de Toronto. Aussi, il apparaît dès lors souhaitable qu’il existe un recoupement des RLISS et, par conséquent, qu’ils se dotent d’une même entité de planification des services de santé en français.

Par la même occasion, le projet de règlement devrait prévoir que pour chaque entité de planification des services de santé en français, il y ait un coordonnateur de services en français rattaché, qui, comme je l’ai indiqué précédemment, pourrait aussi être une personne morale. Le partage des frais et des ressources entre les divers RLISS ainsi regroupés pourrait être au pro rata des personnes francophones desservies par chacun des RLISS ainsi regroupés.

Le regroupement des RLISS va de soi. Malheureusement, les francophones ont souvent eu l’expérience qu’il existe parfois un écart considérable entre ce qui est logique et la réalité.

Afin de pallier les longues discussions entre RLISS, le ministère devrait songer fortement à user de son influence, soit via son pouvoir réglementaire ou autre, de façon à s’assurer que les RLISS qui doivent se regrouper ensembles pour se doter d’une entité de planification de services de santé en français, le fassent sans délai indu.

Conclusion

En guise de conclusion, le projet de règlement actuel comprend de sérieuses lacunes. De mon seul prisme de commissaire aux services en français, ayant pour mandat législatif d’analyser le respect de la LSF, j’ai exposé les différentes problématiques et tenté de proposer des solutions pragmatiques. Cela dit, il m’apparaît clair que d’autres consultations, avec les acteurs clés seront nécessaires.

En espérant ces commentaires utiles, veuillez croire, Monsieur le Ministre, en l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Le commissaire,

François Boileau

1 Art. 2, LSF: « Le gouvernement de l’Ontario assure la prestation des services en français conformément à la présente loi.»

2 Par. 5. (1), LSF : « Chacun a droit à l’emploi du français, conformément à la présente loi, pour communiquer avec le siège ou l’administration centrale d’un organisme gouvernemental ou d’une institution de la Législature et pour en recevoir les services. Chacun jouit du même droit à l’égard de tout autre bureau de l’organisme ou de l’institution qui se trouve dans une région désignée à l’annexe ou qui sert une telle région. »

3 Lalonde c. Ontario (Commission de restructuration des services de santé), (2001), 56 O.R. (3d) 577au par. 141.

4 Lalonde, supra, au par. 143

5 Lalonde, supra, au par. 162

6 Lalonde, supra, au par. 181

7 Lalonde, supra, au par. 160

8 Lalonde, supra, au par. 162

9 Lalonde, supra, au par. 168

10 LISSL, par. 14 (1)

11 LISSL, par. 14(2)

12 LISSL, par 14(4)

13 LISSL, art. 4

14 LISSL, art. 15